♚ moi, j'ai une vraie histoire

qu'est ce que je fais là ? j'en sais rien,
je pense à toi depuis mille ans.

Il mourrait de froid. Peut-être parce qu'il pleuvait averse, qu'il était trempé de la tête au pied, que le vent fouettait son visage avec une violence presque insoutenable. Ses mains tremblaient à l'intérieur des poches de son manteau, un manteau noir, hors de prix, le genre qu'elle détestait totalement. Il s'en voulait de l'avoir mis mais il n'avait pas le choix, ce n'est pas lui qui avait décidé, on ne lui avait demandé son avis sur rien, aujourd'hui. Pourtant, c'était la sienne. Il se répétait ses mots, en évitant de remarquer que le verbe être était désormais conjugué au passé, et il attendit. Ses pieds étaient à quelques centimètres de la tombe de marbre, et il se retenait bien de se briser les os en essayant de frapper dedans. Parce que c'était tout ce qui la reliait à lui, maintenant. Deux jours avant, c'était des rires, des crises de larme, de l'amour à en perdre la raison, maintenant, une foutue tombe. Hors de prix, elle aussi. Comme si la somme qu'ils avaient dépensé pour la fabriquer prouvait à quel point elle allait leur manquer. C'était des conneries. A lui, elle allait manquer. A lui, seulement. Et si on lui avait demandé, il lui aurait fait une tombe en carton, en papier mâché, en polystyrène, ou en feuilles, ça l'aurait fait rire, elle l'aurait regardé avec ses grands yeux bleus magnifiques, et elle aurait rit. A cet instant-même, alors qu'il attendait quelque chose qui ne viendrait plus jamais, il aurait tout donné pour entendre son rire une nouvelle fois.

« Qu’avez-vous ressenti, quand on vous a annoncé qu'Elena était partie ? » Il tourna légèrement la tête, évitant le regard fourbe et perçant du psychologue, qui lui reposait la même question pour la troisième fois. Dehors, il continuait de pleuvoir. Ça faisait trois semaines. Pas un seul rayon de soleil. « Ethan ? Quel sentiment avez-vous éprouvé, à ce moment là ? Étiez-vous en colère ? » Il resta là, impassible, à fixer le blanc sali des murs, écouter le tic tac frénétique de l'horloge fixée sur la porte. Plus que dix minutes, et il en aurait fini avec tout ça. « Écoutez, je ne peux pas vous aider si vous... » Il le regarda étrangement, comme s'il venait de dire une énorme connerie. Un drôle de rictus se forma sur ses lèvres, et ce fut au tour du psychologue de tourner la tête. « Je n'ai pas besoin d'aide. C'était elle, qu'il fallait aider. Pas moi. Alors non, je ne suis ni en colère contre vous, ni contre elle. » Le docteur Greyman attrapa son calepin, le posa sur ses genoux et laissa son stylo en suspend, attendant quelque chose d'autre. Le voilà qu'il se retrouvait une fois de plus au rang de bête sauvage observée. Rien de plus énervant. En remarquant le silence qui envahissait de nouveau la pièce, le psychologue reprit. Mais Ethan ne l'écoutait plus. Il ne l'avait jamais fait. S'il était venu ici, la première fois, c'était parce qu'on l'y avait obligé. « Tu ne vas pas bien et tu es un Jefferson, alors tu ne peux pas te permettre de déprimer ou de faire n'importe quoi sous prétexte que tu as mal. Vas là-bas, il est très bon, il t'aidera à régler ses problèmes. » Il n'avait aucun problème. Ça faisait juste deux mois, deux mois où il espérait tous les soirs avant de s'endormir de rêver d'elle, de revoir son visage, réentendre sa voix. Deux mois qu'il attendait un signe, un appel, un foutu sms l'insultant parce qu'il avait du annuler l'un de leur rendez-vous pour se rendre à un dîner huppé, deux mois. Deux mois qu'il vivait avec cette douleur, ce sentiment qu'on lui avait crevé l'abdomen, déchiré le cœur, incendié l'âme. Rien de grave. Il jeta un nouveau coup d’œil à l'horloge, poussa un soupir de soulagement avant de se lever et d'attraper sa veste. Il ne la mettrait pas. Il laisserait une fois de plus le froid l'envahir, et s'il en mourrait, alors ce serait tant pis. Dieu, je sais que tu regrette de nous l'avoir pris. La preuve, depuis qu'elle est partie, il n'y a que des jours de pluie.

sans le vouloir,
t'as marqué ma vie.

Samedi 14 mai 2011. J’ai jamais écrit dans un journal. J’ai toujours trouvé ça plutôt con, et inutile. Mais Elena le faisait et après ce que je viens d’apprendre aujourd’hui, j’ai besoin de me rattacher le plus possible à tout ce qui me fait penser à elle. Les ours à la guimauve chocolatés, Pulp Fiction, les chansons des Beatles, les vieilles Chevrolet, les yaourts dégueulasses à la vanille. Et ça. Écrire sur papier ce que je ressens, est-ce que ça sert vraiment à quelque chose ? Au final, j'me dis que ça ressemble un peu à toutes les lettres que je lui ai écrites depuis sa mort. Une bonne centaine.
Ma mère est venue chez moi, cette après-midi. Elle empestait le parfum Chanel, je lui ai toujours dit qu'elle en mettait trop, je ne voulais pas qu'elle rentre, elle ne m'a pas écouté, elle a gueulé parce que c'était le bordel, un appartement à trente mille dollars le mois, et le bordel partout. Elle a fait comme si elle me rendait visite régulièrement, alors que c'est la première fois en quatre ans. Après, elle m'a demandé de m’asseoir, et de me taire, j'ai un truc important à te dire, blabla, écoute-moi. J'ai cru d'abord à une mauvaise blague, un canular, bonjour les caméras, sortez de là. Faux. Elle était sérieuse, elle ne riait pas, ma mère rit tout le temps quand c'est pas vrai, elle est incapable de mentir, un gros défaut quand on est riche. Être sincère quand on a plein de pognon, c'est comme sauter dans le vide sans parachute et être convaincu qu'on ne va pas s'écraser. Pauvre naïve.
Je vais me marier. Avec une fille que je ne connais pas. Une Greenleaf. Ouais, les - presque - meilleurs potes à mes parents. En tout cas, ils ont placé pas mal d'argent en commun, et se sont dit : « Et si on mariait nos enfants ? » comme on choisit la couleur d'un papier peint ou le dîner du soir. Contrat signé, j'ai pas eu mon mot à dire, et, comble de l'ironie, j'suis apparemment le premier au courant. Parce que, oui, le plus drôle, c'est que je vais me marier avec une fille que je connais pas, et surtout, personne ne sait où elle se trouve. A ce rythme-là, j'me dis que ça va durer des mois, des années, alors j'aurai au moins le temps de les faire changer d'avis, ou alors de me barrer aux Bahamas où personne ne me connaît. Ah, merde, on a une villa aux Bahamas. Bref, c'est une blague. J'vais pas me marier. La seule avec qui je devais être pour toute la vie, c'est Elena. On avait cinq ans, mais ça compte quand même. Non ?

Vendredi 22 juin 2011. Ma mère est revenue. Elle m'a demandé si j'avais commencé. Commencé quoi ? Bah, à chercher ta future femme, voyons ! Ah ouais, donc, ils ont toujours pas changé d'avis, ils se sont toujours pas rendus compte qu'on était au vingt-et-unième siècle et que c'est pas parce que j'me marie avec une fille que j'aime dans quelques années qu'elle va piquer toute la fortune des Jefferson et se barrer avec un autre con. Ah mais si, tu connais rien à la vie, Ethan. Elle m'a donné un papier avec le nom et le prénom de ma "fiancée", c'est vrai que ça pourrait être utile pour la suite. Mais de quelle suite je parle ? Y'aura jamais rien, hein. Rien, rien...

Dimanche 25 juin 2011. Vol pour Lewis dans deux jours. C'est là-bas qu'elle se trouve. Mais quel bordel. Pandora Greenleaf, j'te hais déjà.

♚ moi, j'ai un deuxième 'moi'.

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Mais, mais, mais... déjà, c'est ELLE qui va me briser le coeur, normal que j'me défende. \o/

Mon pauvre Ethan. :( T'as de la chance que j'sois une adepte de Robsten. ♥

Gosh, Jared&Lachowski. Merci à vous !

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