Ma naissance, la joie de ma mère, le regard défait de mon père en apprenant qu’il s’agissait d’une petite fille. Mes premiers pas, mon premier mot. Mon tout premier jour à l’école maternelle, la rencontre avec celles qui resteront mes meilleures amies à tout jamais, mon premier petit amoureux alors que je n’avais que six ans. Le divorce de mes parents, l’annonce de mon père qui a une double-vie, ailleurs. La rencontre avec mon demi-frère et ma demi-sœur… Mon arrivée au collège, les premiers émois amoureux, les premiers échecs scolaires aussi. Les premières sorties, les premiers problèmes avec l’alcool. La première cigarette, à laquelle je n’aurais jamais dû toucher. Le premier véritable petit ami, la première expérience sexuelle. Le diplôme du lycée, en tout dernière année. La fierté de ma mère, mon grand sourire lorsqu’il s’est approché de moi pour m’embrasser et me féliciter. Les vacances au Mexique. La route… cet accident.

Puis, plus rien. Le trou noir. Je crois que j’ai perdu connaissance. Un type arrivé trop vite, qui n’a pas pu m’éviter. La respiration devient difficile, la douleur dans ma poitrine devient insupportable. J’ouvre les yeux, et j’ai l’impression de voir un ange. « Tenez bon, Mademoiselle ! » ; je ne l’ai jamais vu auparavant. Que faisait-il là, au-dessus de moi ? Je n’en savais rien. Je n’avais pas la force de réfléchir. Je me sentais partir, les bruits s’éloignaient, les sensations s’envolaient. J’eus juste le temps d’entendre la sirène d’une ambulance, ou d’une voiture de police – je n’avais jamais su faire la différence – avant de sombrer dans l’inconnu et l’inconscient. Pour de bon ? C’est ce que tout le monde pensa. Sauf que j’étais plus forte que ce qu’ils ne le pensaient.

J’ouvrais les yeux au beau milieu d’une chambre blanche. Je me sentais molle, fatiguée, exténuée. Je tentais de sortir quelques mots, mais ce ne fut qu’un son très particulier qui s’échappa de mes lèvres. Ma mère, au bord des larmes, apparut alors dans mon champs de vision. « Oh mon dieu, Nalah… tu es vivante ! » ; « Rose, Maman… Rose… » ; ma voix était faible, rauque, comme si je n’avais plus parlé depuis des jours entiers. Ce n’était pas le cas… mais j’avais été intubée durant l’opération, ce qui avait rendu ma gorge sensible. Opérée, oui… mon cœur avait subi un sacré choc, et il avait fallu réparer tout ce qui avait été endommagé. J’héritais, par la même occasion, d’une magnifique cicatrice qui barrait le côté gauche de ma poitrine. « Mais tu es vivante. » ; comme disait ma mère. Un type qui m’avait renversée avant de prendre la fuite. J’ai fait un arrêt cardiaque au beau milieu du passage pour piétons que j’avais emprunté. Un bon samaritain, présent, a tout fait pour me réanimer, sans succès. Emmenée par l’ambulance, j’ai été ramenée à la vie par les machines sophistiquées présentes dans le véhicule. Puis, arrivée à l’hôpital, l’opération. Des heures durant, visiblement. Et me voilà réveillée. « Qui m’a sauvée ? » ; j’avais le vague souvenir d’un visage, mais je n’étais pas certaine qu’il s’agissait de la vérité ou d’un rêve. « Je n’en ai pas la moindre idée. Ce sont les ambulanciers qui l’ont vu… pas moi. » ; probablement que je ne saurais jamais… j’aurais tellement aimé remercier cette personne qui m’avait probablement sauvé la vie alors qu’il aurait pu rester perché sur son trottoir, sans bouger.

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« Je vais me marier ! » ; les mots de ma demi-sœur, au téléphone. Elle allait se marier… de toute manière, elle réussit toujours tout mieux que moi. Sauf les études. Elle était belle, grande, intelligente, et elle avait tout pour elle. Y compris un futur mari, ce que j’étais loin d’avoir. « Mais, c’est… génial Carla ! » ; malgré la tristesse de la savoir mariée avant moi, j’étais enthousiaste. Heureuse à l’idée de participer à cette grande fête, heureuse de savoir que ma grande sœur allait se marier. Nous n’avions jamais été fort proches – bien au contraire, à cause de mon père – mais on s’appelait, souvent. Je savais qu’elle avait quelqu’un dans sa vie, depuis un peu plus d’un an. Mais je ne me doutais pas que les choses allaient se faire aussi rapidement. « Tu vas voir, tu vas très bien t’entendre avec lui. Il est très intelligent. Il est journaliste. » ; déjà, elle divaguait sur celui qui deviendrait dans un futur proche son mari. Un homme que je ne connaissais pas, et que je n’étais pas sûre de vouloir découvrir. Telle que je la connaissais, elle avait déniché l’homme parfait, et je risquais de déprimer durant des mois à l’idée que je ne parviendrais jamais à rencontrer quelqu’un qui m’aimerait tout autant et qui serait tout ce qu’il me fallait, comme elle l’avait trouvé. « Je serai là. Tu peux compter sur moi. » ; je souriais légèrement de l’autre côté du fil. J’appréhendais déjà les retrouvailles avec mon père, mais j’aimais trop les mariages pour éviter cela. Je ferais avec…

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« Rose, tu es superbe ! » ; « Et toi alors… tu es rayonnante ! » ; ma demi-sœur me serrait dans ses bras menus alors que je venais de débarquer dans la grande propriété où elle vivait. Los Angeles, Californie… c’était particulièrement énorme et impressionnant. Prenant une grande inspiration, j’entrais en sa compagnie. « Je vais te montrer ta chambre. On croisera sûrement mon futur mari en chemin. » ; je lui lançais un sourire. Elle semblait si enthousiaste que cela faisait drôlement plaisir à voir. On traversait alors le parc, nous dirigeant vers la grande demeure du fond. Je n’avais jamais vécu dans un truc pareil… comme quoi, mon père avait ses préférences. Nous entrions finalement à l’intérieur, et je me retrouvais nez à nez avec… « Et voici mon futur mari… » ; je le dévisageais, tout comme il en faisait de même avec moi. J’hallucinais. J’aurais reconnu son visage entre mille. Celui qui m’avait sauvé la vie… celui que j’avais vu en ouvrant les yeux juste avant mon arrêt cardiaque. Du moins, c’était ce que je pensais. « Enchanté. » ; « De même. » ; je lui serrais la main qu’il me tendait. Il semblait ne pas me connaître, du tout à vrai dire, contrairement à quelques secondes auparavant. Peut-être avais-je tort. Sûrement que j’avais halluciné alors que j’étais sur le béton de la route qui avait failli vivre ma mort.

Les heures s’étaient écoulées et le dîner était passé. J’étais persuadée qu’il s’agissait de lui. Il m’avait dévisagée comme une bête de foire tout au long du repas, écoutant à peine les débilités de sa famille et les discours de ses amis imbibés d’alcool. Comme s’il m’avait reconnue, mais qu’il y croyait à peine. Changée, habillée d’un tee-shirt et d’un pantalon de jogging, j’étais assise sur mon lit, réfléchissant à diverses possibilités. Je soupirais. Le pire là-dedans était que depuis que j’avais eu cette hallucination à l’accident, il hantait la plupart de mes rêves. Le revoir, aujourd’hui, sans savoir s’il s’agissait de lui ou non, n’allait rien arranger. Surtout qu’il m’attirait, terriblement. « Je peux entrer ? » ; c’était lui. Il avait probablement frappé mais, perdue, je n’avais rien entendu. Je lui lançais un signe de tête pour approuver, et il entra, refermant la porte derrière lui, allant s’installer sur la chose proche de mon lit. Ses yeux fixaient ma poitrine… ma cicatrice. Je relevais mon tee-shirt. Personne n’avait à voir cette terrible marque. « C’est toi, n’est-ce pas ? Toi qui a eu cet accident, il y a quasiment huit ans… » ; alors, c’était bien lui. Je soupirais, glissant une main nerveuse dans mes cheveux. « Je n’étais pas sûre de t’avoir reconnu… je pensais… je ne sais pas. Que peut-être j’avais halluciné. » ; un léger sourire traversa ses lèvres, mais il semblait… triste. Il était pâle. Sûrement stressé par le mariage. « Lorsque j’ai voulu savoir comment tu allais, on m’a répondu que tu étais morte. » ; voilà pourquoi je ne l’avais jamais revu… pourquoi ma mère n’avait pas même la moindre idée de qui m’avait sauvé la vie. « Non. J’ai failli mourir… mais tu m’as sauvé la vie, sur cette route. Alors, merci. » ; il semblait perdu dans ses pensées, me lançant juste un bref regard alors que je le remerciais. Une tension nous habitait, sans que je ne sache pourquoi. Il était beau… trop beau pour mon propre bien. Ma demi-sœur avait encore décroché la perle rare. Elle avait énormément de chance. « J’aurais aimé que l’on se soit revu avant… » ; sur ces mots sans aucun sens, il se leva et quitta ma chambre, me laissant perdue dans mes pensées et mes questions.
Une nuit de questionnement, de recherche de réponses. Que voulait-il dire ? Où voulait-il en venir ? Je n’en savais rien mais, plus j’y pensais, moins je me sentais à l’aise. Comme si… j’étais tombée amoureuse de lui en l’espace de quelques secondes. L’idée qu’il épouse Carla me rendait complètement malade, et je n’osais pas imaginer la réaction que j’aurais en les voyant prononcer le « Oui, je le veux. » fatidique. Après de longues réflexions, je me décidais enfin à quitter la propriété. M’excusant sans explication dans une lettre à ma demi-sœur. Et fuyant la Californie pour rejoindre cette petite ville paumée du Texas, Lewis.





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