» PANDA !
» Lâche-moi Ezra ! Tu m'emmerdes !
» Putain bouge Pandora ! Déjà qu'on les voit jamais, si en plus on s'pointe à la bourre, on va en entendre parler pendant des années !

La jeune brune de seize ans grogna contre son frère jumeau. Elle était la plus vieille de quelques minutes et parfois, elle avait l'impression que c'était lui le grand frère. Elle attrapa sa petite pochette et récupéra un gilet pour après. Elle détestait ses parents. Enfin parents, si on pouvait encore les nommer ainsi. Elle et Ezra étaient nés un treize juin, il y a de cela seize ans déjà, et pas une seule fois ils ne les ont regardé en face. Pas une seule putain de fois, ils ont passé un dimanche après-midi tous les quatre. Elle soupira et s'arrêta devant le miroir en haut des escaliers. Elle regarda ses larges anglaises brunes, ses yeux verts légèrement maquillés et elle souffla. Tout ça pour quoi ? Pour assister encore à une stupide soirée, où elle allait s'emmerder avec son jumeau, parce que papa et maman Greenleaf étaient attendus pour l'ouverture d'un nouveau bâtiment. Un espèce de nouveau théâtre dans la ville de New-York, comme si elle en avait besoin. Pandora et Ezra avaient toujours vécu ici, et avaient toujours connu cette maison, retiré dans les hauteurs de la ville. Elle se trouvait pathétique dans sa robe bustier bleu pastel. Puis elle était définitivement trop courte ! La jeune demoiselle tira dessus et la seule chose qu'elle obtient, fut les rires de sa gouvernante. Elle se retourna et la regarda, un léger sourire aux lèvres.

» Vous êtes magnifique Mademoiselle Pandora.

La jeune américaine roule des yeux et la vieille femme derrière elle, éclate de rire. En bas, la voix d'Ezra rappelle sa jumelle pour partir. Elle roule des yeux en grognant des insultes, alors que sa gouvernante fait semblant de la réprimander. Un chauffeur va les emmener à l'endroit où se déroule la soirée. Ils doivent retrouver leurs parents là-bas, sûrement parler avec quelques personnes, puis advienne ce que pourra. Avec l'aide de Maria, la jeune fille descend doucement les escaliers, faisant claquer ses talons sur le marbre de la maison. Endroit qu'elle déteste plus que tout. Dans le salon, son frère fait les cent pas en attendant la demoiselle et quand il l'entend arriver, il ne peut que se figer et ouvrir la bouche. La robe colle au corps de sa frangine comme une seconde peau. Ses cheveux bouclés lui vont merveilleusement bien. Ses yeux verts émeraudes ressortent grâce à son très léger maquillage. Devant son manque de réaction, Pandora se dandine doucement de gauche à droite, ne sachant que dire.

» C'est moche, hein ? J'vais m'rhabiller !
» Non, non Panda ! Surtout pas … Tu es magnifique, vraiment. Il va falloir que je surveille tes arrières, j'pense.
» Pitié Ez' ... j'ai plus cinq ans !
» Mais justement trésor ! Ils ne vont plus te proposer de partager un seau et une pelle !

Elle roule des yeux, et ils finissent par éclater de rire. Maria les serrent dans ses bras. Ezra embrasse le front de sa soeur et sourit. Il ne le dira jamais à sa jumelle, mais avant d'aller se préparer, il a regardé des films de quand ils étaient petits. Son seul regret est de voir sa soeur grandir et devenir une jeune femme ravissante. Il sait qu'elle attise les regards, surtout habillée comme ça, mais il n'est pas son père et la seule chose qu'il puisse faire, c'est la surveiller et tabasser ceux qui lui font du mal. Il aimerait qu'ils soient là, pour se rendre compte de ça. Ils ne sont plus enfants, maintenant et même si Pandora sait se défendre, Ezra a peur pour elle. La jeune demoiselle est peut-être très têtue avec un sale caractère, elle n'en reste pas moins aussi fragile que du cristal. Dans sa tête, des images d'eux petits défilent. Il la revoit manger de la terre, parce qu'elle a perdu à un jeux. Il la revoit en train de pleurer, alors qu'il tient sa peluche licorne dans ses mains. Il se revoit, avec elle, la tête barbouillée de chocolat. Il sourit et se détache de sa gouvernante et garde la main de sa soeur dans la sienne.

» Bon. On va y aller … T'es prête, princesse ?

Elle hoche la tête en riant et suit son petit frère dans la voiture. C'est lors de cette soirée que tout a en quelque sorte basculé. Pandora tenait un verre de jus de fruit dans ses mains, même si elle avait déjà bu avec Ez', sous la surveillance de Maria, ils étaient dehors et leurs foutus parents étaient très connues. Deux banquiers qui possèdent énormément de banques dans le monde entier, ça laisse des traces, forcément. Après plusieurs plaintes à cause de son mal de pieds, à cause de ses parents qui se foutaient d'eux et tout un tas d'autres choses, la jeune femme a sentit un regard sur elle. En fait, depuis le début de la soirée, elle sentait ce regard sur son dos, qui la suivait à la trace, mais jamais elle n'a dit quelque chose, ou même chercher à savoir qui c'était. Mais là, elle s'ennuyait assise à une table avec son jumeau, sa tête sur son épaule. Ils venaient de se faire enrôler dans les histoires pas du tout intéressantes de monsieur Lewis, quand un jeune homme s'approcha de la table où Pandora s'endormait et où Ezra faisait semblant de s'intéresser à son interlocuteur.

» Excusez-moi, mademoiselle …

La brunette relève la tête et croise deux pupilles bleus qui la fixent attendant un quelconque signe de sa part, ainsi qu'une main tendue dans sa direction pour l'inviter à danser. Elle bafouille un « heuuu … », tout sauf très classe et se lève, plaçant sa main tremblante dans celle du jeune homme. Elle se surprend à aimer sa chaleur, immédiatement. L'américaine sent le regard de son frère dans son dos, mais elle ne s'en occupe pas. La seule chose qu'elle voit c'est qu'elle peut échapper au récit inintéressant de Lewis. Elle soupire et relève enfin son visage quand il la met face à elle, pour danser.

» Je ne sais pas danser …
» Laisse toi guider. Au fait, je suis Liam. Liam Anderson.
» Pandora. Pandora Greenleaf.

Il lui sourit doucement et ne peut empêcher une main de glisser sur sa joue, pour remettre une mèche de cheveux derrière son oreille. Pandora laisse un frisson parcourir son échine et elle agrippe un peu plus fort le bras de Liam, ses yeux complètement noyés dans les siens. La soirée poursuit son cours normalement et la demoiselle ne s'arrête pas de danser, de rire et de parler avec le jeune homme.


Quelque part, entre le ciel et la terre.

» Comment vous sentez-vous ?
» Franchement, j'en sais rien. J'arrive pas à me faire à leur absence. Vous voyez, demain j'ai vingt ans. Mes bagages sont prêts, mon passeport est sur la table, mon billet d'avion pour Lewis est là, je mens à mes parents, mais j'm'en fous. Ils sont plus là.
» Qui ?
» Liam et Ezra.
» Qui était-ce ?
» Liam était mon petit-ami et Ez mon jumeau. Mon copain était plus vieux que moi de deux ans. On c'est connu à une soirée de riches, où nos parents nous avaient forcés à venir Ezra et moi. Le vieux Lewis était en train de parler de je ne sais plus quoi, quand il est arrivé. Il m'a tendu la main, en s'excusant. Je savais pas ce qu'il voulait, mais je l'ai suivi. J'aurais pas dû. Ou pas.
» Il vous a emmené où ?
» Danser. Je ne savais pas faire, mais il m'a guidé. On a pas mal discuté, il m'a dit à plusieurs reprises que j'étais magnifique ce soir. Je savais pas quoi dire, ni comment réagir. Je rougissais comme une idiote. Je riais aussi. Ça aurait très bien put se terminer, mais il a essayé de m'embrasser. J'avais jamais été embrassé avant et je ne savais pas faire. Quand il a approché son visage du mien, je l'ai giflé et j'étais tellement choquée, que j'ai pas réfléchie et je suis partie.
» Et après ?
» J'ai passé des jours à me lamenter et à pleurer. Ezra en a eût marre, il m'a demandé son nom et son prénom. Le soir-même, il le ramenait à la maison. J'lui ai expliqué qu'il était le premier, il a comprit. Je me suis excusée, et il m'a embrassé.
» Vous l'aimiez ...
» Beaucoup trop.
» Donc vous avez connu Liam à une soirée. Quelques jours plus tard, après une claque, vous vous embrassez. Comment votre frère a vécut ça ?
» Très mal. Il a détesté Liam immédiatement. J'étais prête à le laisser, mais mon petit-ami m'a convaincu. Il disait que ça lui passerait. Il a commencé à devenir ami avec Ez et au fur et à mesure des mois, ils se sont apprivoisés. Il avait raison. Mon frère et lui étaient devenus les meilleurs amis. Ils faisaient tout ensemble. Des fois, ils m'incluaient avec eux, mais c'était rare. Même si je suis née avant Ezra, il persistait à croire que c'était lui le grand frère. Liam dormait souvent à la maison aussi, ses parents ne disaient rien, les nôtres n'étaient jamais là, donc j'pense que ça a aidé. Mais quand mon jumeau a apprit qu'on couchait ensemble, il a pas aimé et ils se sont fait la gueule pendant six mois ! J'ai faillis rompre avec mon copain, d'ailleurs, pour garder mon frère parce qu'avec cette connerie, j'étais en train de le perdre. J'étais entre les deux et je savais pas quoi faire. J'en ai parlé avec Liam. Il disait que ça servait à rien parce que le problème c'était moi. Ils se sont engueulés pour de bon, se sont un peu foutus sur la gueule, et après ils étaient à nouveau les meilleurs amis. Bien sûr, mon frère l'a mit en garde. S'il me faisait du mal, il le castrerait.
» Et ce soir-là ? Que c'est-il passé ?
» J'en sais rien. On était allé à une fête tous les trois. Ils savaient que je me droguais, mais je leur avais promis que j'avais arrêté. C'était pas vrai, évidemment. J'avais commencé un peu avant ma rencontre avec Liam. Juste quelques rails au lycée. Quand ils ont su, j'ai essayé de freiner, mais ça ne servait à rien. Ez' voulait me payer une cure de désintox, mais je l'ai convaincu que non, que j'allais m'en sortir. Enfin bref. On venait de terminer le lycée, c'était derrière nous. Liam était avec nous. On est allée à cette fête chez une amie. Les garçons ont pas mal bu, moi je me shootais et je prenais quelques verres, mais j'allais bien ! Je marchais encore droit, j'étais encore consciente de tout. Les gars étaient complètement ivres, et j'ai préféré les ramener à la maison, avant qu'ils fassent des conneries. Je roulais doucement, je faisais attention. J'aimais pas spécialement conduire mais les gars auraient pas put nous ramener. Y avait ce passage difficile à passer. La route était assez étroite, un camion est arrivé en face. J'ai paniqué et j'ai tourné le volant d'un seul coup, nous emmenant dans le fossé, les tuant tous les deux.
» Pourquoi avoir sombré si bas ?
» J'ai tué mon frère et mon copain, pourquoi est-ce que je n'aurais pas pus me casser la gueule ? Mes parents n'étaient pas là et ce matin, j'ai encore reçu une putain de lettre où il nous souhaite un joyeux anniversaire !
» Les médecins n'ont pas vu que tu avais de la drogue dans le sang ?
» Je les ai acheté vous croyez quoi ?
» Je ne sais pas. Tu aurais put faire une cure, par exemple. Enfin ça n'aurait servi à rien, puisqu'apparemment tu continues à te droguer et tu te prostitue, en plus de ça.
» Putain ! Mais vous comprenez pas qu'j'ai mal, tout l'temps ?! J'me drogue pour oublier, je bois pour plus penser à cette existence de merde et à mes putains de parents. J'me prostitue pour avoir ma dose ! J'me vois pas débarquer chez ces deux connards qui m'ont jeté sur cette terre et leur demander « Salut, j'suis Pandora votre fille, j'ai besoin de drogue, j'peux avoir un peu d'argent ? ». Vous voyez demander ça à votre mère ou à votre père ? Vous voyez vos enfants vous demander de l'argent pour aller se détruire ? Parce que vous croyez vraiment que ça me plaît d'être dépendante de cette connerie ? Je demande qu'une chose, c'est d'arrêter.
» Alors, arrête.
» J'peux pas. J'suis devenue dépendante. J'attends le bon moment, maintenant.
» Et si ce moment n'arrive pas ?
» A qui je manquerais, hein ? J'ai un avion à prendre.
» Tu devrais faire attention, Panda. La vie est trop courte pour la foutre en l'air à vingt ans. Même si tu n'en vois pas l'intérêt, tu dois vivre. Pour toi et pour eux. Ils vivront à travers toi.
» Ne m'appelez pas …
» Panda, je sais. Il était le seul à avoir le droit Mais écoute-moi, pour une fois.
» On dirait Liam qui parle. Un curieux mélange d'Ezra et de lui, d'ailleurs.

Un soupir. Une larme. Un battement de coeur et la vie tourne.


La terre sans toi, c'est petit.

Lewis, 13 juin 2011

Salut ptit frère,

Aujourd'hui, tu aurais dû avoir vingt-et-un ans, comme moi. On aurait fait la fête, tous les trois. On aurait profité de notre majorité, buvant sans avoir à donner de faux papiers, ou que sais-je encore ! Enfin bref. Tu peux être sûre que j'ai fêté ça dignement et sans penser à vous. Il faut dire les choses comme elles sont, j'étais beaucoup trop shootée et bourrée pour me rendre compte de quoi que soit, ce soir là. La seule chose que je sais, c'est que j'ai réussis à faire rentrer énormément de monnaie dans mes poches. Comme quoi, vendre son corps ça peut payer. Je n'en suis pas fière Ezra, mais j'arrive pas à décrocher de cette merde, et tant qu'on m'aidera pas, j'pourrais pas le faire seule. Il me faut juste une seule bonne raison d'arrêter et je le fais. J'aurais pus tout stopper pour toi et Liam, sans cure, sans rien, mais vous n'êtes plus là, alors je ne vois pas l'intérêt d'arrêter.

Tu sais que maintenant je vis à Lewis ? C'est sympa comme ville, ça change de NY. J'ai un peu le mal du pays, surtout quand je vois qu'il manque quelques boutiques, ou même quelques boites sympa, mais je ne pouvais pas rester là-bas. Vous étiez partout et comment j'aurais pus faire pour guérir de vous deux, alors que vous étiez encore là, partout autour de moi ? Je regrette tellement d'avoir pris la voiture ce soir-là. J'aurais pus appeler Maria ! La donne aurait peut-être été différente et vous seriez encore là. À moins que de mourir était votre destin, je n'en sais rien.

De mon côté, rien n'a changé. Je continue à me prostituer pour payer ma dose et devant les parents, je fais l'étudiante en littérature modèle. Je m'en sors très bien, tu sais que j'ai toujours adoré ça les livres, les langues et quand j'aime, je peux bosser jusqu'à plus d'heure, mais la drogue me détruit petit à petit. Ils ne savent pas et il ne vaut mieux pas, sinon je ne donnerais pas chère de ma peau. Ils viennent encore de m'envoyer une lettre pour notre anniversaire. Un truc acheté dans un magasin à la con, sûrement. « Joyeux anniversaire à Pandora et Ezra ». Au moins, ils connaissent nos prénoms, mais ils ne doivent pas savoir que tu es mort. Ou alors, ils ont oublié, j'en sais rien et je m'en fous. Le seul truc qui me fait mal, c'est qu'ils envoient toujours la carte à la maison, avec un mois d'avance et que Maria me l'envoie aux alentours du treize. Comme si je ne savais pas qu'elle faisait ça. Enfin.

Tu me manques petit frère. Plus qu'hier, moins que demain. C'est dure sans toi. Sans Liam aussi, mais c'est pas le même manque. Quand je regarde cette photo avec Maria, où on est tous les trois en train de préparer un gâteau au chocolat, j'essaie de ne pas pleurer. Je ne pourrais jamais oublier ce que tu as fais pour moi. Venir me consoler dans mon lit quand je venais de faire un cauchemar, me tenir la main dans toutes nos bêtises, supporter mon caractère de chien et mes envies soudaines de meurtres. Arriver à me calmer et à me rendre plus souriante. Tu étais le seul à réussir à me sortir le nez de mes bouquins, Ez. Liam a juste continué sur ta lancée, mais c'est toi qui lui a ouvert la voie. Je sais que tu lui as expliqué comment je fonctionnais. Enfin bref, la question n'est pas là. Tu me manques Ez. Beaucoup trop. La terre tourne toujours dans le même sens, l'été arrive tranquillement, rien ne change et pourtant rien n'est comme avant. Tu n'es plus là et c'est affreux. Vous n'êtes plus là et j'ai mal.

Tu me manqueras toujours, mais jamais je ne cesserais de t'aimer, ptit frère.
Je t'aime tellement.

Ta Panda à toi.