Si c'est pour me présenter que je suis ici, eh bien allons-y... Parlons de moi. Oui, discutons gentiment de cette petite personne aimable, charmante, cette personne bien que je suis. Sérieusement, je le ferais uniquement parce que si vous y avez cru, il va falloir que je vous explique deux trois petites choses. A commencer par le fait que je ne suis pas une personne bien, ou du moins ne me suis-je jamais considéré comme tel. Et il est rare qu'on le pense. Quelqu'un de marrant dans ses bons jours. Quelqu'un qui sait charmer et séduire, ça oui, tout le monde le dit. Mais non, on ne me décrit jamais ou presque comme ce que j'imagine être une personne « bien ». Vous savez, ces gens qui sont dignes de confiance, fidèles en amour et en amitié, ambitieux mais pas trop, gentils et bons de nature. Ceux qui se font facilement des amis, qui ont une gentille petite vie droite et prévue à l'avance, de longues années avant. Qui à la moindre anicroche dans ce plan de vie parfait, sombrent dans la dépression et font dans le mélo. Peut-être qu'en fait, il vaut mieux pour moi que je ne leur ressemble pas.
Allons bon, passons aux choses sérieuses. En quelques mots, je suis souriant, ouvert d'esprit, bordélique comme pas deux, un brin prétentieux, rêveur, séducteur. La bonne humeur fait partie de moi, elle me façonne chaque jour. Mes amis, les vrais s'entend, ne sont pas aussi nombreux que je le souhaiterais. Je ne suis pas associable, loin de là, simplement avec mes plans foireux et mes impulsions -auxquelles je cède toujours- font que les gens ne me font pas facilement confiance. Ils ont sans doute raison, pas que je sois un traître non plus; c'est simplement qu'il m'est difficile d'être une personne présente pour autrui prête à soutenir les autres dans les épreuves difficiles de leurs vies quand je suis incapable de le faire pour moi-même. Malgré cela, les amis que j'ai, qui ont cru en moi et qui ont compris mon mode de fonctionnement ont toujours eu mon entière dévotion sur le plan de l'écoute loyale, et toutes ces choses que l'on fait entre amis. Débrouillard, j'arrive à m'en sortir seul, mais avoir la responsabilité du bonheur de quelqu'un d'autre, ça devient tout de suite plus difficile. J'en ai déjà fait l'expérience, d'ailleurs. De ce côté là, l'amour pour moi rime plutôt avec copine d'un soir, relations brèves et peu engageantes. Ah, et détail important... J'ai le sang chaud, dans le sens où la moindre altercation avec moi dégénère très vite. Je n'ai aucun contrôle sur ma colère, et mes émotions sont toujours vives, violentes et crues.

Comme tout individu a ses origines, ses racines, il est inévitable que je vous parle de mon histoire pour que vous puissiez réellement me connaître, puisque tel est votre désir. Enfin, n'espérez pas trop tout de même, me connaître en tant qu'individu, fastoch'. Mais plus en profondeur, c'est tout de suite plus difficile. Mais je vais vous y aider.
Vous savez, quand on grandit dans une petite bourgade d'à peine cinq-cent habitants (et encore, je surestime largement), la vie des autres n'a de secret pour personne. Tout se sait, les secrets familiaux d'autant plus: les commères de cette foutue ville ne savent pas tenir leur langue devant les drames que certains vivent parfois. Je ne dis pas avoir vécu un drame, avoir eu une vie merdique ni même que j'ai subi tous les malheurs du monde. Je ne suis pas comme ça, j'aime l'optimisme même si pour moi, cela revient plus à regarder le moins possible en arrière. C'est aussi simple que cela. Les souvenirs, les remords, la nostalgie, à quoi bon tout ce mal que l'on se fait inévitablement, quand il est si simple d'oublier et de regarder droit devant soit ? Je n'ai jamais compris ces gens qui vivaient scotchés à leurs passé, détruisant leur vie consciencieusement à chaque évocation de leur vie d'avant. Surtout quant il s'agit de ces personnes qui n'ont pas bougé de Lewis et qui n'ont aucune ambition. Non, vraiment, cela me dépasse. Si moi non plus n'ai-je pas eu une vie parfaite, au moins ai-je la consolation de pouvoir me dire que j'ai laissé ce bled derrière moi pendant un temps. Une période de ma vie qui restera sans doute à la fois la plus belle et la plus terrible de mon existence, du moins jusqu'à présent. Mais cela viendra, vous saurez tout. Commençons par le début.
Comme vous le savez, je suis né ici, à Lewis. Ma mère était encore une adolescente, une pseudo-rebelle fêtarde, camée et incapable de s'occuper d'elle. Pourtant elle a voulu croire le contraire, s'est enfui de la maison familiale vers l'âge de seize ans. Avec ce look qui fait « bien » pour les rebelles: jeans déchirés, vestes en cuir et noir à profusion autour de yeux. Enfin, vous voyez le topo; rien de très original. Comme toutes « hors-la-loi » de basse catégorie qui se respecte, ma mère (accessoirement nommée Gillian, si ça vous intéresse) fumait, buvait, se droguait, faisait le trottoir quand le besoin s'en faisait sentir, baisait à tout va. Pas ici, à Lewis la ville de la candeur incarnée. Non, elle s'était tirée d'ici, fuyant vers les bas quartiers du Quinns. Sans doute se sentait-elle moins seule là-bas, qu'en sais-je. Tout est que ses aventures sans lendemain l'ont amenée à me mettre au monde, lorsqu'elle n'avait que dix-huit ans. Ou du moins, était-elle enceinte. Incapable de se gérer seule et d'assumer, elle est revenue au galop chez ses parents, résidant toujours à Lewis. Une chance pour elle qu'ils aient été trop gentils pour ne pas la jeter dehors après toutes ses années à demander de l'argent pour payer ses innombrables dettes, sans jamais rien faire en retour.
Et voilà que je suis né, un beau jour de septembre. J'étais l'erreur du nouvel an, une capote craquée sans aucune doute. Mon père était alors un de ses rares copains fixes, et elle devait y être sacrément attachée pour m'attribuer son prénom en deuxième nom. Sans compter sur mon nom de famille, que je ne tiens absolument pas d'elle. « Je fais ça dans les règles de l'art », disait-elle. Son nom en premier, Devon, et De La Vega en nom de famille officiel. « C'est plus classe » s'extasiait-elle quand je lui posais la question du haut de mes quatre ans. Cebrian Daemon Ruben Devon-De La Vega. J'étais marqué à vie par une appellation difficile à porter, même ici ou tout le monde a des noms bizarres. Merci de ne retenir que Cebrian De La Vega, ça me suffit...
Ma chère mère étant trop jeune et trop irresponsable pour s'occuper de moi, s'envola de nouveau sitôt qu'elle fut remise sur pieds, me laissant aux bons soins de mes grands-parents. Des bonnes poires, ou de bonnes âmes; à vous de voir. Je fus élevé par ces derniers, aimants et attentionnés bien que je ne fus pas leur fils. Juste un petit fils illégitime et laissé à l'abandon par leur fille indigne, que je n'ai plus revue qu'en de rares occasions par la suite quand elle daignait faire une apparition. Malgré l'absence de parents et des quelques difficultés que je rencontrais à l'école à cause du fait que je vivais avec mes grands-parents, j'eus une existence parfaitement heureuse de l'enfance à l'adolescence. Et là, ce fut le premier choc que je connus dans ma vie: la mort de ma grand-mère Mila. Âgé de dix-huit ans, j'ai moi-même senti les ailes me pousser dans le dos, avec ce besoin d'évasion intraitable auquel je ne pouvais échapper. Impulsif, les décisions m'étaient toujours venues au dernier moment, souvent sur un coup de tête. Et je les suivais, par envie et besoin. Alors je suis parti, bouclant mes valises après l'enterrement, plein de cette envie d'échapper au désespoir qui allait bientôt planer sur cette maison. Certes, c'était égoïste, lâche et irrespectueux envers mon aïeul, qui allait rester seul après cinquante ans de mariage. Mais je ne voulais que mon bonheur, et j'étais jeune, plein d'ambitions et d'envie de vivre pleinement ma vie. J'avais peut-être senti que la mort de Mila était une fin, mais aussi un début. Maintenant encore je regrette de ne pas avoir pris plus de temps pour les aux revoirs. Ceux-ci ont simplement été une embrassade, et les mots de James, grinçants mais emplis d'amour paternel: « Fais attention à toi, et ne finis pas comme ta mère. ». Je suis parti sans un mot, troublé.

Ce fut comme une un renouveau, de respirer de l'air neuf. J'étais émerveillé, choqué par ce monde extérieur dont je ne connaissais rien, enfermé pendant dix-huit ans dans le même trois pièces de cette petite bourgade insignifiante, comparée à des villes comme New-York, LA, Washington, Phoenix. Cette dernière fut mon coup de cœur, l'Arizona fut ma reddition face à l'envie de voyager encore et encore. Et pour cause, je tombais simplement amoureux à la fois de la péninsule ensoleillé et de cette femme. Fille, plutôt. J'avais alors vingt-cinq ans, et cela me paraît si lointain alors qu'en réalité cela ne l'est guère. Alaska Joan Kennedy, jeune fille douce et définitivement trop jeune pour moi. Mais ce fut celle qui signa ma perdition, inconsciemment bien sûr. Bipolaire, seule et égarée, douce et fragile. Mon cœur avait battu pour des millions de femmes auparavant, mais Alaska avait, par ce simple regard, réussi à l'arrêter le temps de quelques secondes. Je ne détaillerais pas cette vie commune dont nous avons joui pendant quelques mois, elle poursuivant consciencieusement ses études, moi perdant mon temps à peindre et à essayer de vendre, ce qui bien évidemment n'arrivait jamais. J'étais amoureux, follement. Je l'aimais, j'en étais certain. Ma vie sans elle n'avait plus aucun sens, aussi cliché cela soit-il de dire cela. Pourtant, je ne pouvais plus continuer. Je sentais que la fin du voyage était arrivé, et quelque chose me retenait. Il y avait ce lien dérangeant entre nous, que nous évitions d'aborder, mais qui était toujours un obstacle, surtout pour moi. Elle avait huit ans de moins que moi, j'avais vécu plus qu'elle. Non, j'étais trop vieux, je l'empêchais de vivre ces belles années que j'avais vécues. Alors je l'ai quittée, comme ça, du jour au lendemain. Je ne voulais plus qu'une chose, retourner à Lewis, ma ville d'enfance qui après tout ce temps en cavale, me manquais physiquement. Alors j'ai quitté l'appartement en lui laissant cette plaie béante au cœur, ce chagrin que nous partageâmes un instant mais dont elle fut l'entière dépositaire après mon départ. Aucun doute que je vécus cette séparation bien mieux qu'elle. Aujourd'hui encore, je ne pense plus qu'à elle, mais j'oublie dans les bras de toutes celles qui veulent de moi. L'homme est fait ainsi, que voulez-vous.