Le centre équestre. Jusque là, June n'y avait jamais mis les pieds. Les chevaux lui plaisaient, mais sans plus, elle ne ressentait pas le moindre bonheur à se courbaturer le dos en restant inerte plusieurs heures. Étant enfant, elle avait souvent goûté à ce simple plaisir, ne pouvant s'empêcher de se sentir enfin libre, semblant voler sur ce si majestueux et bel animal. Mais maintenant qu'elle était réellement elle, réellement indépendante, elle n'éprouvait plus le besoin de s'échapper de sa réalité, d'une quelconque manière que ce fut. Elle était néanmoins poussée par un tout autre besoin que celui de faire du sport ou de chevaucher une bête, si magnifique soit-elle, il fallait qu'elle sorte. Depuis combien de temps n'avait-elle vu le soleil que traversant sa jolie fenêtre, de sa villa luxueuse ? Depuis combien de jours n'était-elle plus sortie de chez elle, persistant presque sans manger, et sans ressentir le moindre besoin de le faire ? Elle n'aurait su dire. Mais une petite voix lui certifiait que sa faisait déjà bien une semaine. Pas de nouvelle d'Elias (le fils) depuis qu'il l'avait surpris avec Maël (le père xD) et elle ne pouvait l'en blâmer. Oui sa colère et sa déception étaient parfaitement compréhensibles. Comme le désespoir d'une June se battant désormais seule face aux coups bas de la vie. Elle l'avait bien cherché. Et maintenant, elle avait gagné, anéantissant à coup de pelle les sentiments d'Elias à son égard, faisant ressurgir douloureusement les siens.

Pourquoi le centre équestre ? Allez savoir. Sans doute un brusque besoin de se sentir à nouveau libre, libre de sa douleur, libre de ses sentiments, libre de son esprit même. A moins que ce soit simplement l'envie soudaine de voir Houna, qu'elle savait trouver ici. Houna ... quelle femme incroyable ! A New-York, où June avait passé une enfance pour le moins captivante, elles s'étaient rencontrées, et, ayant fini par devenir sympathique l'une à l'autre, la photographe s'était éprise de la mannequin, et elles avaient fait d'innombrables clichés ensembles. Des photos superbement bien réussies, témoignant du travail de l'une comme de l'autre. A cette époque, elles étaient comme soeurs, comme jumelles. Elles se ressemblaient comme deux gouttes d'eau. Deux garces arrogantes, doublées d'un besoin irrépressible de destruction, envers elles comme envers les autres. Elles profitaient de tout ce que pouvait leur offrir la vie, sans se poser la moindre question. Et pourtant, Houna avait un gosse. Un foutu gosse sacrément mignon. Où était-il passé maintenant, qu'était-il devenu ? Elle n'en avait pas la moindre idée, et ne comptait pas même le demander. Après tout, ce n'était pas ses affaires ! En arrivant à Lewis, June s'était considérablement calmée, et était devenue une femme banale, gentille, calme et douce grâce à la présence de son petit ami, Elias. Elle avait arrêté toutes les conneries qui faisaient autrefois d'elle une femme de débauche exceptionnelle. Puis très vite, tout cela l'avait lassé. Comment prétendre être une demoiselle normale, avec un si lourd passé ? Non, elle s'était ennuyée dans cette vie monotone que lui offrait ce petit village campagnard, courant dans les bras du premier lui promettant un peu de distraction. Et indéniablement, c'est ce qui avait causé sa perte.

Il semblait à June qu'Houna avait presque suivi le même chemin. Elles s'étaient revues une fois à Lewis, quelques minutes simplement, et il avait semblé à la mannequin que son ancienne amie s'était vraiment calmée. Alors qu'elle était autrefois une garce manipulatrice et sans le moindre remord, elle n'était ici plus qu'une gentille petite fille, une poupée gracile que l'on pouvait manier à sa guise. Oui, elle n'était même plus Houna. Cette vision avait déçue June au plus haut point, maintenant qu'elle était redevenue elle-même. Elle n'en avait toutefois rien laissé paraître, et était partie, simplement. Et aujourd'hui qu'elle se rendait au centre équestre, elle avait la brutale envie de revoir cette femme, de la revoir et de la convaincre enfin du bienfait de cette débauche si agréable et si destructrice! Mais en aucun cas June comptait lui poser des questions sur sa vie passée comme récente : tout cela ne la regardait en rien, pire encore, ça ne l'intéressait pas. Ce môme était un poids dans sa vie, et bien qu'elle ne sache pas où il était passé, elle pensait que c'était préférable pour Houna. Oui, horriblement préférable. C'est avec ces atroces pensées en tête qu'elle se dirigeait calmement vers le centre équestre, vers une vision de son passé qu'elle allait sans doute regretter.