Joachim n'est pas quelqu'un qui aime parler de lui. Il n'aime pas se définir non plus, se "psychanalyser". Comme c'est hors de ses principes, je ne peux donc pas faire cette partie à la première personne. Joachim ne se prend pas la tête. Il n'est pas du genre à chercher plus loin si quelqu'un est désagréable avec lui. En effet, on ne peut pas l'ennuyer, parce que dans sa tête, si vous êtes embêtant, vous n'existez pas. Il est très indifférent, et il ne porte pas d'intérêt à grand-chose. Bien sûr, il ne fait pas abstraction de la totalité des gens présents sur terre ; d'ailleurs il est très sociable, et assez rapidement amical avec les gens. Il part du principe que les gens sont "sympathiques" quand il ne les connaît pas encore. On pourrait penser que cet état d'esprit lui joue des tours et le fait souvent tomber de haut, pourtant il le vit très bien. Il ne s'étonne pas de grand-chose. Il aime faire plaisir aux gens qu'il aime et aux gens en général. Joachim a une conception de l'amour et de la sexualité très particulière. En effet, il part du principe qu'il aime plusieurs personnes à la fois, et ne ressent aucune culpabilité à passer du bon temps (de l'esprit ou du corps) avec plusieurs personnes différentes pendant la même période. Il a un fâcheuse habitude à être trop franc, et à dire des choses qui sont communément jugées "impolies" par la société. Exemple : "Aujourd"hui, tu as les cheveux gras, Lou." L'avantage, c'est que lorsqu'il avance un compliment à quelqu'un, ce compliment a l'air rare et précieux. Néanmoins, Joachim est assez lunatique. Il refuse souvent de faire quelque chose, sans s'expliquer. Il n'a pas vraiment de sautes d'humeur, mais change souvent d'avis et reste toujours très insatisfait de lui-même.

• un animal : La souris. • une saison : L'automne. • une chanson: Sunday Morning - The Velvet Underground. • un film : The Boat that Rocked. • une fleur : L'acanthe. • une célébrité : Lou Reed.

• un pouvoir : Là comme ça, j'vois pas. • un pays : La Suède. • un vêtement : J'aime pas les vêtements. • un objet : Un harmonica. • une ville : Sydney. • un métier : Y a pas de métier qui me plaît.

DEPUIS COMBIEN DE TEMPS J'HABITE A LEWIS ✿ J'sais pas trop. J'suis venu un été, comme ça, j'suis tombé dessus. J'comptais pas y aller spécialement, mais en fait, c'est fun ici, alors je suis resté. Ça doit faire dans les 16 mois que j'vis à Lewis.
LA PIRE CHOSE QUE J'AI FAITE DANS MA VIE ✿ Je crois pas avoir fait de chose horrible dans ma vie .. Ou alors je dois pas m'en souvenir.
MON PLUS GROS SECRET ✿ Je suis riche.
MON STYLE VESTIMENTAIRE ✿ J'aime pas les habits. C'pour ça, je pourrais très bien ne pas m'habiller, ça me gênerait pas. J'ai pas de goûts très spéciaux, j'aime bien les trucs sobres, amples et confortables, les sarouels, les jeans, un pull en haut et basta. Rien que acheter des vêtements, c'est ennuyant, "faire les boutiques" c'est bien le genre de trucs qui sert à rien. C'est pas que j'ai pas assez d'argent - héhé - mais je trouve que les vêtements sont désuets car à valeur de temps limitée, je ne dirai pas société de consommation, mais presque. Sinon, j'affectionne particulièrement les colliers et les bracelets, mais je n'en porte pas plus que ça.
MA PLUS GROSSE PHOBIE ✿ J'ai peur des certitudes. Le doute, c'est beaucoup plus confortable. Dans un autre registre, je tiens en horreur les chenilles. Traumatisé des chenilles processionnaires. Pour la petite histoire, je dors des fois à la belle étoile, ou sous une tente, et je l'avais installée ce soir-là sous un pin .. On était en octobre, je devais être un peu stupide. Réveillé à quatre heures du matin par ces connasses de chenilles, tout boursouflé de partout. J'le saurai, maintenant.
MES PASSE-TEMPS ✿ Ne travaillant pas, ma vie entière est un passe-temps et ... c'est fun. Bien sûr je gagne très bien ma vie, mais je pars du principe que je ne prends aucun plaisir à remplir toute obligation qu'on me donne - comme un travail par exemple. Donc, si mon goût pour la musique devenait un travail, je n'aimerais plus en jouer. Enfin, vous avez compris. Mon passe-temps préféré, c'est dormir. Ensuite, j'aime manger, j'aaaaaaime manger. C'est un peu la vie, la bouffe, quoi. Puis, quand je ne fais ni l'un ni l'autre, ça m'arrive de jouer de la musique avec au choix : guitare/guitare basse/ukulélé/harmonica/accordéon/saxophone.

SUEDE [1989 – 2005]

Lettre à Mikaël – April, 22nd 2000
Salut Mikaël. Tu nous manques beaucoup, à maman et moi. On habite toujours dans le même appartement en face de l'épicerie avec le gros pâtissier, « Magnus Livsmedelsaffär ». C'est plus pareil sans toi. Ça me fait bizarre de me dire qu'on ira plus jamais piquer de gâteaux à la boutique.
Cette semaine, on est allé dans le bois avec l'école, pour aller observer les champignons. La madame nous parlait alors qu'on était tous assis dans l'herbe, à l'écouter. Et là, y a Peter qui s'en est allé discrètement avec Valentine (je t'en avais parlé la dernière fois, c'est une française ; elle est dans notre classe depuis cette année et tous les garçons veulent sortir avec elle, mais je sais qu'elle est amoureuse de Peter .. comme toutes les filles). Moi je les avais vu mais j'étais le seul, et j'allais pas les balancer non plus, c'est mon meilleur ami, Peter. Il l'avait emmené plus loin dans le bois, là où les arbres étaient tellement épais que même le soleil en été n'arrivait pas bien à éclairer le sol. Ils étaient bien cachés, n'empêche, même si moi je les voyais bouger un peu. Je sais pas duquel j'étais le plus jaloux .. Si c'était de Peter, parce qu'il était parfait, que tout le monde l'adorait et qu'il était avec Valentine en l'instant présent, ou si c'était de Valentine, parce qu'elle me piquait mon meilleur pote. Mais la madame avait fini de parler et on devait se lever et la suivre. Je me suis levé donc, en essayant de garder un œil sur le bosquet d'arbres touffus où Peter était parti. Je me suis rendu compte que ça bougeait plus. J'ai regardé dans le groupe d'élèves autour de moi, et je les ai vus juste derrière moi, se lâchant la main. Je me suis alors retourné brusquement, je sais pas pourquoi d'ailleurs .. J'avais pas envie de les voir comme ça là, certainement.
Un peu plus tard dans la journée, on est rentrés à l'école en bus. Je me suis assis à côté de Peter, et je lui ai demandé ce qu'il avait fait avec Valentine. Il a pas répondu tout de suite, et il m'a regardé drôlement. Tu sais, avec son regard bizarre là, à cause duquel on sait jamais quoi faire ou quoi dire. Je savais pas quoi dire justement, alors je l'ai regardé aussi, un peu curieux. Et c'est là qu'il a éclaté de rire, Peter. Il est vraiment bizarre en fait, on dirait qu'il est beaucoup plus âgé que tout le monde, pourtant je suis certain qu'il a 11 ans, comme moi. Puis il m'a sourit et m'a demandé :
« Tu nous as vus ? »
J'ai hoché la tête, je voyais pas quoi répondre d'autre, et puis c'est pas comme si j'allais lui mentir. Il a enchaîné, en me regardant très sérieusement :
« Elle a le goût du raisin. »
Dans son langage, ça voulait dire qu'ils s'étaient embrassés. J'ai éclaté de rire, parce que la façon dont il le disait me faisait marrer. Il a un truc en plus, Peter. Une sorte de chose invisible autour de lui, qui fait frissonner, qui peut aussi bien te mettre mal à l'aise que te faire rire en un seul mot, comme là. Je suis vraiment content qu'on soit amis lui et moi, c'est vraiment quelqu'un de spécial.
Aujourd'hui, maman m'a offert une guitare. Oui, parce qu'aujourd'hui, c'est mon anniversaire ! Je sais qu'elle a des problèmes d'argent, mais elle a tenu à me faire un cadeau quand même. Ma guitare n'est pas neuve bien sûre, mais elle est très belle malgré les petites rayures qui la couvrent. J'aurais bien aimé t'en jouer, Peter m'a appris plein de chansons quand j'allais chez lui ; il a une guitare électrique lui ! Mais je trouve que ça sonne mieux les guitares « sèches », c'est comme ça qu'on dit. En plus, comme maman sait que j'aime beaucoup les gâteaux, elle m'en a fait un très gros, très beau et très bon : une génoise aux framboises. Mais ça fait plus pareil de le fêter sans toi. Maman était bizarre d'ailleurs, elle se forçait à sourire. Je l'ai vue pleurer dans la salle de bain tout à l'heure, elle est très triste. Ça aurait été tellement bien qu'on puisse le manger tous les trois … ça aurait été moi qui aurait eu la plus grosse part, bien entendu ! […]

Lettre à Mikaël – June, 1st 2004
Salut Mikaël ! La vie s'accélère ici, à Stockholm. J'ai eu 15 ans cette année, et j'essaye d'aider maman pour tout ce que je peux. Financièrement, elle va mieux, elle a obtenu un poste de cuisinière suffisamment bien payé pour nous permettre de vivre tous les deux. C'est pas comme si on dépensait beaucoup, mais on n'est jamais à l'abri, alors j'essaye de ramener un peu d'argent à la maison. Je fais des coups un peu foireux, mais je suis sûr que tu m'aurais couvert si maman se doutait de quelque chose, ou si j'avais des problèmes. Par contre, niveau stabilité mentale, ça va pas fort chez maman. Je pense qu'elle fume un peu plus que raisonnablement, mais je dois t'avouer que .. c'est ma faute si elle se fait autant de souci. Bien sûr, tu es parti et tu lui manques atrocement, mais je crois qu'elle s'inquiète surtout à cause de mon attitude à l'école. Le proviseur l'a convoqué plusieurs fois, d'ailleurs :
« Votre fils ne manifeste aucun intérêt pour l'école, et ses réactions laissent parfois penser qu'il est stupide. Je ne pense pas que ce soit le cas, n'est-ce pas Mademoiselle ? (cet enfoiré lui laisse même pas le temps de répondre) Bien. Même s'il n'est pas un rigolo de classe, il n'en reste pas moins un élève très indiscipliné. Il ne prend jamais en note les cours, et refuse de parler quand on lui demande de s'exprimer. Néanmoins, ses notes sont légèrement au-dessus de la moyenne. S'il n'avait une attitude aussi insolente, je pense qu'il aurait été un élève exemplaire ; car il ne distrait pas les cours, malgré ses petites crises de mutisme et son refus total d'intérêt pour les cours. »
Mon proviseur, M. Piersson. Je me demande souvent comment un trou du cul comme lui est à la tête de mon lycée ; mais en fait je m'en fiche. Il peut bien me pourrir la vie et celle de ma mère, il nous atteindra pas. J'ai parlé avec maman, et elle veut quand même que je termine le lycée, même si elle n'est pas dupe et voit bien que ça ne m'intéresse pas.
D'ailleurs, rien de m'intéresse à l'école. Je ne veux pas devenir médecin, avocat ou architecte, moi. Au lycée, on nous rabâche sans cesse les oreilles avec notre avenir, notre orientation, tout ça. Peter lui, veut devenir chirurgien. Ça ne m'étonnerait pas qu'il réussisse, il est très doué dans tout ce qu'il fait, et ses parents ont les moyens et les contacts. Tous les profs – comme tous les gens qu'il croise en fait – sont complètement fascinés par lui, ils s'extasient en permanence. C'est fou. Il est devenu très beau, et son charme n'a fait que croître depuis que je le connais. Et Dieu sait qu'on se connaît depuis longtemps. Il enchaîne les filles, ça l'amuse, on dirait qu'il veut me rendre jaloux (pourtant je n'ai pas l'impression de l'être, bizarre). La dernière fois, il m'a dit que je faisais beaucoup de ravages parmi la gent féminine, mais qu'elles avaient peur de moi, et pensaient de pas être assez « spéciales » pour me plaire – comme si j'avais besoin d'une fille « spéciale » moi. Il a terminé sa phrase par un petit clin d'œil, qui m'a fait sourire. Moi, je n'ai pas trop d'avis là-dessus, sur « les filles » comme il le dit si bien. Je m'en fiche un peu. Ça ne m'intéresse pas trop mais je ne veux pas lui dire, ça risquerait de le vexer. Oh bien sûr, je suis déjà sorti avec plusieurs filles, mais en parler à longueur de temps, c'est nul. Je suis sûr que tu dirais la même chose, y a des trucs bien plus intéressants dans la vie.
Par exemple, ma passion à moi, c'est la musique. C'est quelque chose que je ressens. Honnêtement, je trouve que j'ai fait beaucoup de progrès depuis que maman m'a offert une guitare. Je connais pas mal de trucs par cœur, mais je commence à « improviser » aussi. C'est très prenant, et je le fais souvent pendant des heures. Hier, j'ai joué à maman un petit truc que j'avais inventé, et elle m'a écouté les larmes aux yeux. Puis elle m'a serré très fort dans ses bras.
« Je t'aime mon fils. »
J'avais très envie de lui répondre qu'elle était tout pour moi et que je l'aimais encore plus, mais bizarrement, ma gorge s'est nouée et j'ai pas réussi à sortir un seul mot. Alors je l'ai serrée très fort, parce qu'on se fait pas souvent de câlins, avec maman. En la sentant contre moi, j'ai pensé à toi aussi, Mikaël. J'avais l'impression qu'on était encore tous les trois, ensemble. Je crois qu'elle était fière de moi, et émue. Je crois qu'elle est contente de me voir enfin m'intéresser à quelque chose – même si ça n'est pas scolaire. Je suis content qu'elle puisse être fière de son fils.
A mon anniversaire cette année, Peter m'a offert un harmonica. Il voulait m'offrir un téléphone portable, mais je lui ai dit que je n'en voyais pas l'utilité. Il a tout de suite compris ; il a vraiment un don pour savoir ce qui me fait plaisir ou pas. J'apprends facilement l'harmonica. C'est fatigant au début parce qu'on s'essouffle très vite, mais je trouve ça chouette comme instrument. Je peux l'amener partout et en plus, Peter adore m'entendre en jouer. Tu me manques horriblement, Mikaël. Je pense souvent à toi quand je fais de la musique. Je joue pour toi, avant tout ! Je t'aime petit frère, à bientôt.

Lettre à Mikaël – March, 5th 2005
Salut Mikaël. Il s'est passé beaucoup de choses en quelques mois. Pour tout te dire, j'ai l'impression que ça fait des années depuis ma dernière lettre, alors qu'en fait pas du tout. Je sais que je peux te parler de tout (enfin, t'écrire en l'occurrence), et surtout j'en ai besoin. Il y a des fois comme ça, où j'ai besoin de parler de certaines choses, sinon je ne me sens pas « épanoui ». Tu me diras, je pourrais en parler à Peter mais .. en fait non. Parce que ça le concerne un peu.
Pour le nouvel an, il avait organisé une soirée, j'y étais bien évidemment invité (sortir, c'est la vie, t'as manqué un truc là. Pourquoi t'es mort à 7 ans ?) et donc j'y suis allé. Il n'y avait rien de spécial, c'était une grosse fête, l'ambiance était à l'aise, on s'amusait. Je vais pas te raconter la soirée en détail, c'est pas intéressant. On s'est bien amusés, mais j'ai aussi bien bu (et un peu trop fumé aussi) et vers 4h je crois (on me l'a dit) je me suis écroulé. C'est assez énorme de tomber dans les pommes, je trouve. Enfin, ça devait l'être que pour moi, parce qu'autour tout le monde s'affolait. Peter est arrivé, et il a poussé tout le monde pour me monter à l'étage, dans sa chambre. J'avais juste eu une petite absence, et j'étais conscient quasiment tout de suite après ma chute. Dans ma tête je me disais « Repose-moi Peter, je peux marcher tout seul ! » sauf que ça sortait pas. C'est vraiment chiant, ça. Il m'a posé sur son lit donc, et m'a dit un truc mais j'ai pas vraiment entendu – dans les vapes, quoi qu'il en soit il est redescendu. Je me suis endormi directement je crois, je me souviens de rien d'autre en tout cas. Par contre, je me souviens très bien du lendemain matin. Je me suis réveillé en mode gros déchet – normal hein – et Peter était à côté de moi. Il venait de me replacer une mèche châtain derrière l'oreille, et m'observait. Encore dans le pâté, je l'ai regardé aussi, tentant de sourire. Il avait de belles boucles brunes qui avaient foncé avec les années, et des yeux sombres également. Il s'est toujours très bien occupé de sa personne, pas comme moi qui me laisse souvent aller à des cheveux sales et une barbe de plusieurs jours. Je me suis justement touché la mâchoire, et j'ai senti quelques picotements sous mes doigts. J'ai un peu grimacé avant de réussir à me mettre sur les coudes, et j'ai lancé, simplement :
« Jolie soirée. Ça doit être le bordel en bas. »
Peter n'a même pas souri comme à son habitude, il s'est juste penché vers moi et je suis retombé sur le dos, mes faibles coudes ne me soutenaient pas assez. Peter m'a embrassé, Mikaël. C'était une sensation étrange. J'avais pas cette impression de dégoût que j'aurais dû avoir, j'étais pas paralysé comme j'aurais dû l'être. Je savais qu'il avait une petite amie en ce moment, mais je m'en fichais un peu. Parce qu'après tout, avec Peter on se connait depuis toujours, parce que Peter c'est mon meilleur ami et parce que Peter est à moi et à moi seul. Parce que Peter, je l'aime. Alors j'ai passé un bras autour de son cou, et j'ai répondu à son baiser pendant qu'il s'asseyait à califourchon sur moi.
Je ne vais pas te décrire tout ça en détails, parce que ça reste entre Peter et moi. Mais c'était follement délicieux. C'est une relation un peu spéciale. Je sais très bien qu'on n'a pas le droit d'être ensemble, alors on est en couple chacun de notre côté. Il n'empêche que lorsqu'on est seuls, on s'amuse bien. Il n'y a jamais eu de tabous ou de complexes entre lui et moi, et encore moins avec le sexe. Je ne sais pas si je suis gay. Au-delà de l'acte sexuel, je pense que je m'entends mieux avec les garçons. Après, c'est possible que ça vienne uniquement de mon âge, mais les femmes sont agaçantes. Et même sexuellement, je trouve qu'un homme c'est beaucoup plus satisfaisant. Enfin, je ne me pose pas vraiment la question de mon homosexualité. Je préfère me qualifier « d'ouvert ».
J'ai voulu en parler à maman. Je savais qu'elle ne me jugerait pas, parce qu'elle me comprend très bien. Mais le souci c'est qu'elle va de plus en plus mal. Elle ne dort plus sans somnifères. Je l'ai amenée à l'hôpital à la mi-janvier, pour qu'elle se fasse examiner. Verdict : cancer des poumons. Heureusement, il est très peu étendu, et les médecins ont eu avis positif quant à sa guérison. Elle doit enchaîner les traitements et les opérations, et quand elle ne se fait pas soigner, elle dort. Elle doit être épuisée. J'ai l'impression que son visage a exponentiellement vieilli. Pourtant, elle a à peine 40 ans. Maman était très belle, tu t'en souviens ? Boucles blondes, yeux verts. Elle ne se maquillait jamais, elle n'en avait pas besoin. Sa peau était laiteuse, et elle avait quelques tâches de rousseur. Toi, tu en avais plein, un vrai poil-de-carotte. Peter m'a dit que j'en avais quelques-unes aussi, sur le nez et les pommettes, ça le faisait marrer.
« Je t'emmerde, Peter. »
J'aime bien faire semblant de bouder, parce qu'il vient m'embrasser dans le cou et ça chatouille agréablement. Il l'a fait, comme d'habitude, mais cette fois-ci il a ajouté quelque chose.
« Et moi je t'aime, Kim. »
C'est le seul qui m'appelle Kim, c'est bizarre que personne n'y ait jamais pensé. Mais je digresse là, je sais pas pourquoi mais je dévie toujours sur Peter, pardonne-moi. J'ai deux nouvelles, une bonne et une mauvaise : Maman va assez mal donc, et les soins qu'elle reçoit ne sont pas totalement remboursés. Ça, c'était la mauvaise. La bonne, et même très bonne (qui efface la mauvaise), c'est que j'ai été convoqué pour un héritage, qui me vient de quelqu'un que je n'ai jamais rencontré. Apparemment, il s'agit du mari de la sœur de maman, sœur qui est morte avant que tu sois né. Son mari fils unique, n'a pas eu d'enfants et a légué à son seul neveu (moi en l'occurrence) toutes ses possessions. En gros, j'hérite d'un appartement en plein centre de Stockholm, et d'une énorme baraque vue sur la mer Baltique à à peine une heure de la capitale dans un petit coin tranquille, avec bateau de pêche et petit port privé. Ça, c'est pour le côté foncier. J'ai également le droit à un compte bancaire avec un petit million de couronnes dessus et une belle Saab. Je compte louer la maison au bord de la mer assez cher, ça fera un petit revenu à maman qui n'aura pas beaucoup d'argent vu qu'elle ne travaillera pas. Elle s'installera dans l'appartement dans le centre quand elle sortira de l'hôpital. Je vais louer notre ancien appartement .. C'est triste quand j'y pense, mais ça devient assez gris là-bas. La « Magnus Livsmedelsaffär » a fermé. De toute façon, l'appart' sera toujours à nous, même si je le loue. Je préfère ça que de le vendre. Maman est d'accord, je lui en parlé. Elle dit qu'elle est contente que je m'occupe de tout pour elle. Cependant, si je peux faire tout ça, c'est que je me suis fait émanciper. En fait, ça consiste à me donner les mêmes droits que les majeurs, pour ce qui concerne notamment l'argent, le foncier et les procédures qui vont avec. Ça fait que je n'ai pas trop de soucis administratifs et que je peux m'occuper normalement de tout.
J'ai commandé un passeport à la mi-septembre de l'année dernière, et je viens de le recevoir là, fin février. Au moment où je t'écris, je suis au port de Stockholm. Je pars pour le Canada. Tu t'y attendais pas ? Moi non plus, en fait. J'ai décidé de partir parce que je me suis rendu compte que je n'ai plus rien à faire ici. Maman n'est pas trop pour, elle n'a pas apprécié quand je lui ai dit que j'arrêtais l'école pour « faire le tour du monde ». Mais je crois qu'elle a compris que j'étouffe dans cette ville et que j'ai besoin de changer d'air. C'est possible que ça soit un vrai fiasco, mais j'ai pas l'intention d'mourir congelé dans le neige canadienne. Je parle bien anglais, j'ai toujours eu des facilités à apprendre une langue, donc je n'ai pas de problèmes de ce côté-là. Je vais essayer de trouver un boulot, un endroit où dormir et je repartirai dans un autre pays quand j'aurai assez d'argent. Peut-être l'Asie. J'ai envie de rencontrer des gens. Des gens nouveaux, une nouvelle culture et une autre façon de vivre. Ce sera peut-être ma dernière lettre Mikaël, je ne sais pas si j'aurais le temps de t'écrire à nouveau. Ça ne m'empêchera pas de penser très fort à toi. Tu me donnes le courage de quitter maman, la Suède et de partir par-delà l'Atlantique.

CANADA [2005]

Lettre à Peter – June, 29th 2005
Hello Peter, comment tu vas ?
Tout d'abord, je voudrais m'excuser. Je suis parti sans t'en parler, sans même te dire au revoir. C'était sur un coup de tête, et je suis désolé de ne pas t'avoir donné de nouvelles plus tôt. Comme l'indique le cachet sur l'enveloppe, je suis au Canada, dans un petit bourg près de Montréal au nom assez incongru. J'ai passé une saison dans ce village, et c'est plutôt cool comme pays. Je travaille dans une petite auberge régionale en tant que serveur. Les gens sont sympathiques, quoiqu'assez rustres. Il y a souvent des habitués, mais aussi parfois des gens de passage. J'ai droit à une minuscule chambre avec un évier et une sorte de petite douche, mais l'avantage c'est que je ne paye pas. Pour la bouffe, je dois descendre en bas à la cuisine pour me faire à manger, je n'ai même pas de kitchenette dans ma chambre. Je suis payé à la semaine, j'ai l'impression d'être riche, c'est fou. Je veux faire le tour du monde, je ne sais pas si maman t'en as parlé (tu as dû lui rendre visite à l'hôpital déjà, non ?). Je te promets de t'envoyer une lettre de partout où j'irai. Je me languis de toi. De ta chaude voix et de ta présence. Je n'ai pas envie de rentrer tout de suite en Suède, même si la tentation de te revoir est très forte. Je t'aurais bien proposé de me rejoindre, mais je sais que tu as des études à faire à Stockholm. Je ne sais pas si on se reverra un jour, parce que des fois, on ne sait pas ce que nous réserve la vie. Appelle-moi à l'auberge un de ces jours, j'ai noté le numéro au dos de cette feuille. Je compte partir pour l'Asie ou l'Amérique latine en Octobre. D'après ce que j'ai calculé, j'aurais assez d'argent pour voyager assez loin d'ici quatre mois.
En attendant, je m'occupe comme je peux. J'ai rencontré une fille sympa, elle fait le même boulot que moi. Elle est arrivée quelques semaines après moi, complètement paumée. Je la comprends en même temps, ici la moyenne d'âge est de 45 ans, alors à 16 ans on se sent un peu seul au monde (tout le monde me croit plus âgé pourtant, parce que je ne parle pas beaucoup il paraît). Elle, elle en a 19. Elle s'appelle Flore, et vient de New York. Elle n'a pas voulu me dire exactement pourquoi elle est venue dans ce trou, mais ça m'importe peu. On sort ensemble souvent, on s'amuse bien. En même temps, je pense qu'on aurait été un peu cons de pas aller l'un vers l'autre, on est les seuls « jeunes » à des kilomètres à la ronde. On a une relation qu'on pourrait qualifier de « sentimentale », mais je ne pense pas que tu sois jaloux, tu dois comprendre comment je fonctionne maintenant. […]

PEROU [2005 – 2007]

Journal personnel d'Inrenzo Morales – November 2nd 2005
[…] Eh bah, ça alors. Hier soir, j'étais allé me promener comme ça, sur un coup de tête. Il pleuvait un peu, mais j'étais bien couvert. Avec ce vieux truc de mettre du papier journal sous les vêtements pour avoir plus chaud. Et là, je vois un garçon, un gosse plutôt, assis sur un banc. Tout raide, il avait pas l'air de se préoccuper de la pluie, ni même de rien d'autre à part la boutique de DVD fermée en face, qu'il fixait d'un air lointain. Il avait l'air mort, alors je me suis approché et j'lui ai touché le bras. Il était encore vivant, mais a pas réagi. Le pauvre bougre. J'l'ai attrapé par l'épaule et traîné jusqu'à ma planque. J'allais pas le laisser dehors par ce temps de chien, pensez bien. Il dort encore, il devait être bien épuisé. Ça doit faire maintenant 15h qu'il roupille comme s'il n'avait pas dormi depuis des années. […]

Journal personnel d'Inrenzo Morales – November 4th 2005
[…] J'ai tout de suite su que c'était un bon gars, le p'tit Joachim. Il avait une guitare à côté de lui pour seul bagage. J'ai un peu fouiné dans les poches et j'ai même trouvé deux harmonicas au milieu de papier à musique couvert de griffonnages. J'crois qu'il compose un peu. Il s'est réveillé hier vers cinq heures du soir, et j'étais exceptionnellement là. La première chose qu'il m'a demandé, c'est mon prénom. Il parlait en anglais, mais ce n'était pas un problème car je connais bien cette langue.
« On m'appelle Enzo. »
« Moi c'est Joachim. »
J'avais l'impression qu'on savait tous les deux qu'on n'avait pas besoin de savoir plus l'un sur l'autre, mais qu'rien que cet échange de prénoms était une sorte de confiance mutuelle qui s'installait. J'ai donc lâché, naturellement :
« Je vois que tu fais un peu de musique. Ça te dit de venir avec moi demain ? »
Je crois qu'il a vu mon saxophone posé dans son étui dans un coin de la pièce. C'était la seule chose qui paraissait avoir de la valeur ici. C'était le cas, d'ailleurs.
« Tu es un artiste de rue ? »
« Je joue de la musique pour les gens. »
« Tu vis de ça ? »
« J'ai pas besoin de plus pour m'acheter à manger. »
« Et le reste ? »
« Le reste ça n'a pas vraiment d'importance, je crois. »
« D'accord. »
Il est intelligent. Il a dû comprendre je crois, ma manière de vivre.
« Quel âge tu as ? »
« 16 ans. »
Il est rudement jeune. Je ne pensais pas autant. Je lui ai demandé comment il était arrivé là. Il n'est pas du tout typé latino, mais plutôt européen. J'ai dû m'asseoir, il a commencé à me raconter sa vie entière. Je crois qu'il en avait besoin. Il m'a parlé de son frère Mikaël, écrasé à 7 ans par un conducteur ivre. Du rêve de chirurgien de son meilleur ami et désormais amant Peter – ça lui a paru si naturel que je n'ai pas trouvé ça choquant. De sa mère et de son cancer. De son pays, la Suède. De son voyage au Canada. De son ambition de faire le tour du monde. Puis de son amie Flore, dont il venait d'apprendre le décès suite à une overdose. Il m'a dit lui-même que sur le coup, il n'a pas vraiment réagi. Que seulement arrivé au Pérou en descendant de l'avion, il s'est rendu compte qu'il venait de perdre une autre personne chère à son cœur. C'est à ça qu'il pensait quand je l'ai trouvé, il venait de sortir de l'aéroport. Il s'est rendu compte de la mort, une nouvelle fois. Moi je ne m'en rends pas compte, je ne peux pas me mettre à sa place. Mais je vois qu'il a besoin de vivre. J'ai l'intention de le faire vivre, moi. Il a vécu trop de choses pour un enfant. Son enfance est morte quand il avait 10 ans, le jour de l'accident de son petit frère ; elle vient d'être enterrée aujourd'hui, le jour de l'overdose fatale de son amie. Il ne peut plus revenir en arrière et il le sait. Il a juste besoin qu'on l'aide à avancer un petit peu, et voir à nouveau clair. J'espère pouvoir l'aider.

Lettre à Mikaël – August, 17th 2006
[…] Je t'avais dit que je ne t'écrirais plus – cette lettre est la dernière. J'ai juste besoin d'un dernier entretien avec toi afin de mettre les points sur les i. Afin également, de me sentir plus libre. Je me sens emprisonné dans ton souvenir. Récemment, une amie à moi est morte, et j'avais l'impression que je mourrais avec elle, comme j'ai cru mourir lorsque tu es parti. J'ai compris que les choses sont éphémères. Surtout les bonnes choses, en fait.
J'habite en ce moment sous la surface de la terre, à Lima, chez un homme assez particulier. Je ne saurais dire quel âge il a exactement, il paraît à la fois sage mais je le vois des fois s'étonner de choses assez communes. Physiquement, il est assez commun, de taille moyenne et assez mince, une petite barbichette, une peau basanée et des yeux étonnamment bleus. Il joue de la musique dans la rue. Il ne considère pas ça comme son gagne-pain, mais comme son passe-temps favori. Je suis souvent étonné de voir combien il gagne en une seule journée. L'étui qu'il pose devant lui est rempli de pièces et de billets à ras-bord. Il m'a demandé de l'accompagner, et nous jouons tous les deux dans la rue – cela doit faire 9 mois environ. Je fais de la guitare, et lui du saxophone. Il m'a appris à en jouer, je crois qu'il aime transmettre ce qu'il sait. Et il en sait, des choses. Des fois on échange les instruments, et il prend ma guitare. C'est toujours la même guitare, celle que maman m'a offerte à mes onze ans. J'ai l'impression qu'à chacun de mes anniversaires, on m'offre un nouvel instrument et je ne vais pas m'en plaindre. Cette année, année de mes 17 ans, Enzo (le saxophoniste) m'a offert son ukulélé. J'ai trouvé ça très touchant, parce qu'il avait l'air de m'estimer beaucoup pour me donner un objet auquel il devait «énormément tenir. C'est quelqu'un de très franc. Il y a quelques semaines, on nous a proposé de jouer dans une salle, avec une entrée payante. J'ai tout de suite dit à Enzo que ça ne me plaisait pas, parce qu'on allait entrer dans le cercle vicieux de la production. Il n'a rien dit, il m'a juste fait un signe de tête du genre « Je te laisse aller leur dire. » Donc, nous avons refusé. C'est mieux ainsi. Je n'aimerais pas dépendre d'un éditeur ou d'un producteur, ça serait contre mes principes. Et je tiens à mes principes. Certes, ils changeront sûrement avec le temps, mais pour l'instant ils sont ce qu'ils sont et je m'y tiens. […]
Le hasard étant ce qu'il est, je ne sais pas quelle sera ma prochaine destination. J'ai toujours un faible pour l'Asie, mais je ne pense pas y aller. Je pense à l'Australie, en revanche. J'ai envie de voir Sydney, les grandes villes me manquent. Stockholm me manque. Il y a des tas de choses qui me manquent en ce moment. J'ai envie de retrouver mes racines, mes piliers, mes bases, mes origines. Je ne sais pas quoi ajouter de plus sur l'instant. Je ne te fais pas de promesses. Je te dis à bientôt simplement. Je t'aime, Mikaël.

AUSTRALIE [2007 – 2009]

Lettre à Joachim – February, 10th 2007
Bonjour, mon cœur. J'ai bien reçu ta lettre, tu te portes bien ? Transmet mes amitiés à Valentine (si j'ai bien compris tu squattes chez elle et sa copine à Sydney ?) et évite de trop les déranger hein, j'te connais. Elle a dû bien changer, depuis le temps. Enfin, trêve de digressions, j'ai deux trois choses à t'annoncer. Rien de très grave je t'assure.
En premier lieu, ta mère est sortie de l'hôpital. Elle va très bien, et s'est complètement remise. Elle aurait bien voulu te le dire elle-même, mais tu es assez injoignable en fait ; tu n'as même pas de téléphone portable. Enfin. Et ce n'est pas tout, elle est sortie de l'hôpital .. avec son médecin. Elle a l'intention de l'épouser, d'ailleurs, mais elle aimerait que tu sois là. Ta maman rayonne, ça change de l'époque d'avant. Je pense que c'est un homme bien, il a l'air assez soucieux de sa personne pour s'occuper de quelqu'un d'autre.
En second lieu, j'ai moi-même commencé mes études de médecine. C'est très prenant, et si je prends la peine de te répondre c'est bien parce que c'est toi. Je me demande ce que tu deviens .. Tu m'as parlé de ta musique de rue la dernière fois qu'on a discuté au téléphone, j'espère que ça marche bien. Je passerai peut-être vous voir après mes examens, si tu es toujours en Australie. Je t'en conjure, si tu changes de ville, préviens-moi à l'avance !
Je t'embrasse,
Peter.

Lettre à Peter – December 24th 2009
Joyeux Noël, Pete ! Comme prévu, je pars pour les USA après-demain. Je t'ai écris plus bas mon numéro de téléphone récemment acheté, alors profite-en pour m'appeler souvent. Je t'embrasse, à bientôt !
Joachim.

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