La première chose que l'on remarque chez moi, c'est que je suis indifférente. J'accorde de l'importance à peu de chose et j'ai bien conscience que ça donne une mauvaise image de moi. D'ailleurs, l'ardeur que je mets à faire fuir les gens de ma vie me vaut des surnoms peu flatteur, tels que garce, coeur de pierre, cruelle... Mais je suis peu consciente du regard des autres, moi tout ce que je veux, c'est ne plus jamais souffir à cause d'une seule personne, alors je ne m'attache pas, je m'en fous. Après, il faut tout de même avoué que j'ai quelques défauts en plus : je suis rancunière, impulsive, orgeuilleuse et pas très courageuse.
Mais si quelqu'un voulait s'amuser à trouver quelque chose de bon en moi, je pense qu'il y arriverait en cherchant un peu. Et en supposant que je ne le fasse pas volontairement fuir. Je suis souriante, énergique, optimiste, psychologue et il paraît que j'ai pas mal d'humour. Ce qui fait de moi, si on y réfléchit, je suis de bonne compagnie, non ? Oh, et j'adore faire la fête, danser, chanter, m'amuser quoi.

J'ai 6 ans . Assise par terre, je mets quelques coups de crayons appliqués sur la grande feuille posée sur la table. Je ne fais pas de bruits, je m'applique, je veux vraiment finir ce dessin. Finalement, je mets la touche finale, considérant mon oeuvre avec la fierté et le manque d'objectivité caractéristiques des enfants de mon âge. «  Regarde, Maman !! Regarde mon dessin !! » . Ma mère, assise de manière sophistiquée dans le canapé, me regarde, agacée. Je l'avais visiblement dérangée dans la lecture de son magazine féminin. « Pas maintenant, Luke, tu vois bien que je suis occupée ! » Déçue, je baisse la tête, entreprenant de ranger mes crayons de couleur pour ne pas me faire gronder. Dans ma jeunesse, mon innocence, comment pourrais-je comprendre que ma mère étouffe dans sa vie de femme au foyer, que chaque regard qu'elle pose sur moi lui rappelle qu'elle est coincée ? Mais je ne suis qu'une enfant, et tout ce que je veux, c'est que quelqu'un regarde mon dessin. Puis, soudainement, l'inspiration me vint, je savais qui serait contente de voir une telle chose. J'attrape le dessin en question et je m'élance dans les escaliers, le faisant flotter derrière moi comme une bannière. « Luke, ne cours pas dans les escaliers ! » Mais je suis déjà à l'étage, en train d'appeler ma soeur aînée à tue tête : « Lucky, Lucky !! » Il est évident que nos parents n'ont pas été cherché très loin les prénoms de leurs filles mais je m'en fichais. En réalité, j'en étais même fière, il n'y avait rien de plus gratifiant pour moi que de porter presque le même prénom que ma grande soeur, mon idole absolue sur cette terre. D'ailleurs, c'est elle qui vient à ma rencontre, attirée par mes cris. « Qu'est-ce qui se passe, ma sauterelle ? » Souriant à ce surnom affectueux, je brandis fièrement ma réalisation de la matinée. Lucky sourit et se met à genoux à côté de moi, m'écoutant patiemment pendant que je lui explique de façon vraiment détaillée ce que c'est. A la fin, je lui donne même le dessin, parce que c'est elle ma préférée. C'est elle qui s'occupe le plus de moi. Pas Papa. Pas Maman, elle, Lucky.

J'ai 11 ans. Couchée dans mon lit, je me surprends à vouloir être sourde. Je suis à demie endomie mais visiblement pas assez puisque j'entends tout de ce qui se joue dans la salon. Ce soir encore, mes parents se disputent, de temps en temps interrompus par Lucky qui essaie de les ramener à la raison. « Occupe-toi de tes enfants au lieu de ta petite personne »« C’est ce que je fais chaque jour, si tu veux savoir »« Je crois que ce soir c’est la fin, chaque soir c’est la même chose. Un jour tout s’arrête, arrêter maintenant ». La suite n'est qu'un murmure confus, je n'écoute plus, je suis dans mon monde. Je suis malheureuse. Pas pour mes parents, non ça, jamais. Je ne les ai jamais vu autrement qu'en train de se déchirer. Non, je suis malheureuse pour Lucky, ma brave grande soeur, qui est entre eux, qui en plus de devoir veiller sur moi pense aussi qu'elle doit les arrêter. C'est une trop lourde responsabilité pour une adolescente de 14 ans. Mais elle ne se plaint jamais, elle me protège, elle m'aide, elle m'aime, comme si c'était son premier devoir. Et je suis heureuse qu'elle le fasse. Sans elle, ma vie serait nulle, je ne pourrais jamais la remercier assez. Grâce à elle, malgré nos parents désintéressés, j'ai eu une enfance assez heureuse. Nous avons traversés les années ensemble, et jamais nous nous sommes éloignées l'une de l'autre. D'ailleurs, elle sait que les diputes me rendent nerveuse, alors elle vient s'allonger à côté de moi. Elle me chuchote à l'oreille. « Nous deux contre le reste du monde » Mais ce soir, j'ai peur, ça ne suffit pas. Je me retourne contre elle, la regardant autant que possible dans les yeux, malgré mes paupières se fermant toutes seules. « Pour toujours ? » « Pour toujours » On scelle le pacte en se serrant le petit doigt, notre rituel favoris, et je m'endors, rassurée.

J'ai 14 ans Appuyée sur le cadre de la porte de Lucky, je la regarde bourrer rageusement le plus d'habits possible dans un sac de voyage. Je ne peux pas croire ce que je vois, ça ne peut être qu'un cauchemar. Ma grande soeur, ne partirait pas sans moi, c'est une erreur.« Je fous le camp d’ici » j'ai envie de crier : '' Et moi ?! '' , mais je ne fais pas. C'est un simple oubli de sa part, dans quelques secondes, elle va lever la tête, me regarder avec un petit sourire en coin et me demander pourquoi ma valise n'est pas prête. Parce qu'il est évident qu'elle ne me laissera jamais seule avec les deux monstres sans coeur que sont nos parents. Pourtant, les secondes passent et Lucky fait toujours sa valise. Quelque chose cloche. Le coeur au bord de l'explosion, n'y tenant plus, je me précipité vers elle et accroche son regard et ses mains. « Non ! Me laisse pas seule ici » Elle me regarde à son tour et ce que je lis dans ses yeux me fait peur. Détermination et tristesse. Elle allait vraiment le faire, m'abandonner ici. Rompant notre contact visuel, elle ferme son sac et le met sur son épaule. « Je suis désolée, je t’aime Luke Carleson. Pour toujours » C'est ce jour là, à cet instant précis, que j'ai sentis mon coeur se déchirer. Vraiment. Une douleur m'oppressait, montait dans ma poitrine, les prémices d'une crise de larmes sans précédent. Déjà, mes yeux se mouillaient et je dus battre des paupières pour voir ma soeur disparaître derrière la porte. Alors prise soudainement de la résolution de la faire souffrir autant que je souffrais, je m'écriais : « Tu ne tiens pas ta promesse ». Mais ça ne la fit pas revenir. Cette nuit là, je dormis dans sa chambre, couchée sur son lit, fixant la porte, étant sûre qu'elle allait revenir. Ses paroles tournaient dans ma tête. Je t'aime Luke Carleson. Pour toujours. Longtemps après qu'elle soit partie, je répondis enfin. «  Et bien moi, je te déteste. Je ne te pardonnerait jamais d'être partie. » Mais il n'y avait personne pour m'entendre, j'étais seule, désespérement seule.

J'ai 16 ans. Paisiblement lovée sur le rebord de la fenêtre de la cuisine, mon baladeur vissé sur les oreilles, je regarde le soleil se coucher sur notre jardin. La maison est totalement silencieuse et je me sens détendue, paisible. La musique a ce pouvoir sur moi. Mais très vite, cette paix est rompue par la porte d'entrée qui claque. J'arrache mes écouteurs de mes oreilles et me prépare à monter dans ma chambre. Je ne savais pas lequel de mes parents venaient d'entrer mais je ne voulais croiser aucun des deux. Malheureusement, mes plans de retraite furent interrompus par mon père, qui se tenait au pied de l'escalier. «  Tu n'es pas allée à l'école aujourd'hui. » Je soupire, exaspérée, quel loser...Il ne me parlait que pour me réprimander. « Je ne vois pas très bien, ce que ça peut te faire. Et puis, pour l'info, je vais au lycée maintenant, pas à l'école. » «  Ne me parle pas comme ça, Luke. Je suis sérieux, ça fait trop de fois que tu sèche les cours, le lycée parle de te renvoyer. » Et là, quelque chose se rompt en moi. Je ne sais pas si ça couvait depuis longtemps ou si c'est le fait de le voir me parler d'un air supérieur, comme s'il était excellent mais j'explose : « Tu veux qu'on passe dans le registre sérieux ? Parfait. Quitte à faire semblant de tout savoir à propos de moi, je vais te donner des informations, comme ça tu pourras mettre à jour ton dossier '' Luke '' !! Commençons par le lycée, j'arrête. J'en ai marre, c'est fini. Et puis tant qu'on y est … » Mais je n'ai jamais finie ma phrase. Le téléphone de mon partenel avait sonné et il avait immédiatement décroché comme s'il était en train d'attendre cet appel plutôt que d'avoir conversation sérieuse avec sa fille cadette, chose qui n'était pas arrivée depuis des mois. Alors, sans qu'il ne le remarque, je l'ai contourné et je suis monté dans ma chambre. Comme Lucky deux années plus tôt, j'ai fais mes valises, avec rage et détermination. Comme elle, j'allais quitter ce trou.

J'ai 18 ans. Accoudé sur le rebord du balcon d'un petit appartement, situé au centre ville de Lewis, je savoure l'air frais du matin. Je n'ai jamais eu le courage de ma grande soeur, je n'ai jamais quitté Lewis. Cette fameuse soirée où j'avais quitté mes parents, je croyais que le monde était à mes pieds, mais je me trompais. Je n'avais ni les moyens, ni le courage, ni même la détermination de partir. J'étais en général quelqu'un d'enjoué mais depuis quelque temps je devais avouer que j'avais un peu le moral en berne. Les raisons en étaient multiples. D'abord, il y avait le départ de ma soeur, aussi lointain qu'il soit. Je n'avais jamais oublié ce que vous avions toutes les deux, je chérissais ses souvenirs et même si j'imposais un silence radio à ma soeur depuis des années, elle me manquait. Cruellement. Ensuite, il y avait le fait que j'avais fugé en étant mineure et que mes parents n'avaient pas essayé de me retrouver. C'était quelque chose de blasant de découvrir que les deux seuls êtres au monde sensés vous aimer pour toujours ne le faisaient pas. Je me sentais seule, comme depuis mes 14 ans. D'autant plus que je m'étais fixée comme résolution de ne jamais plus m'attacher à quelqu'un, j'avancerais dans la vie seule, et ne serait plus jamais blessée. « Salut beauté, ça va ? » Il allait d'ailleurs falloir que je le fasse comprendre au garçon avec qui j'avais passée la nuit, et qui venait de me rejoindre sur le balcon. « Désolé... mais c'est quoi ton nom déjà ? » Je n'étais pas désolée, mais je voulais le vexer, je voulais qu'il parte de chez moi, et je sus que j'étais sur le bon chemin quand je le vis grimacer légèrement. « Je m'appelle... » J'eus un sourire ironique. «  Je m'en fiche un peu en vérité mais si tu pouvais y aller maintenant... j'attends quelqu'un » Il eut l'air blessé. Je devais reconnaître qu'il avait l'air sympa et qu'il était mignon, il ne devait pas avoir l'habitude de se faire jeter comme ça. En plus, le courant était bien passé entre nous hier soir, il devait vraiment penser qu'on était au début de quelque chose. Et peut être bien, mais je devais étouffer le moindre petit sentiment avant qu'il ne sorte de l'oeuf. Une dizaine de minute plus tard, je l'entendis partir, sans un mot. Il avait compris vite. A nouveau seule, j'eus un autre petit sourire ironique et murmurais pour moi même. «  Au revoir, Sacha »

Aujourd'hui. « Carleson, il y a un client mécontent, là-bas, tu devrais aller le voir, car tu sais ce qu'on dit : clients insatisfaits … » Je pousse un soupir discret et réponds à mon patron avec une parfaite hypocrisie. «  … Employés payés au rabais » Apparamment, je l'avais convaincu car il s'éloigna d'un pas conquérent. Moi, je retenais à grande peine un fou rire : il était si fier de ce stupide slogan qu'il avait inventé, si fier de diriger cette station service... alors que c'était juste celle de Lewis. Une petite ville paumée du Texas. Mais je me pliais volonté à ses petits lois ridicules, c'est ce job qui me permettait de vivre. Je posais donc le magazine que je lisais, seule distraction que j'avais trouvée pour occuper les longs laps de temps qui s'écoulaient avant que quelqu'un ne se perde ici et je me dirigeais vers le client en question. Je me demandais bien quel problème il pouvait rencontrer... un paquet de chewing gum cabossé. Ironie quand tu nous tient. Mais c'était plus fort que moi, je n'avais jamais rêvé de faire ce métier, je n'avais juste plus le choix. Je devais vivre par moi même, ma soeur n'étant toujours pas revenue en ville et mes parents l'ayant définitivement quittée. C'en était fini de ma période rebelle, j'étais maintenant une jeune femme responsable et ancrée dans la réalité. Je m'étais faite à l'idée que je quitterai pas Lewis de sitôt et depuis, j'appréciais un peu mieux les choses simple de cette vie. Je travaille le jour, sors le soir, flâne le week-end, et au fond, j'aime ma routine.