« Ana, c'était une fille adorable. Attachante et douce, elle n'a jamais eu aucun mal à se lier avec les autres. Elle était généreuse et tendre, c'était le genre de fille un peu rêveuse, légèrement solitaire aussi, mais qui dégageait une inconcevable joie de vivre. Véritable boule d'énergie sur cette terre, elle était mon soleil. Etait. Oui, l'imparfait possède une véritable signification. Ana a perdu l'homme qu'elle aimait, et n'est depuis plus rien de tout ça. Dépressive, elle s'est plongée dans la drogue pour oublier, estimant comme une fille peu rationnelle que cela l'aiderait à oublier -non pas à oublier- à affronter l'absence de Lou. Peine perdue. Malgré s'être rendue compte qu'il n'en était rien, elle n 'a pas arrêté pour autant. J'ai cru perdre ma fille. Vraiment. Lorsqu'elle ne se droguait pas, elle pleurait. Toujours. Souvent. Elle se laissait mourir, petit à petit, refusant l'aide d'autrui, et s'est enfermée dans son cocon destructeur sans laisser personne le percer. Jusqu'à ce fameux jour. Ce jour bénit, où elle est venue nous voir, radieuse. Elle exigeait de nous de la laisser partir dans une ville inconnue et dans un autre pays même, à seize ans. Malgré tout, nous n'avons hésité qu'une fraction de seconde. On avait compris depuis longtemps. Rien d'autre ne pourrait la guérir. Il fallait qu'elle le revoie. »

« Lou, est-ce que tu m'aimes ?. »

Cette question revenait particulièrement souvent. La réponse était sa vie. L'amour de Lou pour elle constituait sa seule envie de vivre. Sa joie. Sa bonne humeur. Il contribuait à part entière à ce qu'Ana était. Peut-être s'en rendait-il compte ? Surement même. Elle l'aimait trop pour que cette fascination particulière ne lui saute pas aux yeux. Mais elle était persuadée que c'était réciproque. Le savait. Le lisait dans son regard dès lors qu'il posait ses magnifiques prunelles sur elle. Dieu qu'elle l'aimait !

Son amour entraina sa vie dans chacun de ses remous, chacun de ses rebondissements. Elle l'aimait bien trop, en était éperdument amoureuse, mais alors que certaines de ses amies lui conseillaient la prudence, elle voyait son affection non pas comme une preuve de naïveté mais comme une grande force, un incroyable courage. Pourquoi s'attacher autant à un homme tout en sachant qu'il pourrait vous être a tout moment retiré ? Elle savait, mieux que quiconque, à quel point ça en valait le coup ! Croyait le savoir.


« Il est ... il est parti ! »

« Mais enfin ma chérie, tu es adolescente, tu es jeune, tu es belle. Tu en trouveras un autre. Tu le remplaceras vite, j'en suis sure. Cesse de croire qu'il était l'homme de ta vie. »

« Non ! Non, tu ne comprends rien ! Il était celui que j'aimais maman. Je l'aimais vraiment, d'un amour fou, éperdu, démesuré. Et si tu refuses d'assimiler le fait que même une fille de seize ans puisse ressentir un tel amour, alors tu me connais encore moins que ce que je croyais. »

Ana-Lisa (Anissa -ou anyssa- pour tous ses proches) avait claqué la porte. S'était enfermée, n'avait plus laissé de place à sa famille, à ses amis. Elle était devenue une. Une, encombrée par trop de souvenirs, par trop de tendresses, par trop de merveilles définitivement terminées. Elle vivait dans un passé qu'elle savait ne jamais pouvoir retrouver, et cette lucidité la détruisait. Terriblement. De l'intérieur. Tel un monstre particulièrement sinistre et sadique lui bouffant les entrailles, se repaissant de sa volonté, détruisant toute parcelle d'humanité résidant en Ana. Tout, sauf ses souvenirs. Mortels. Seul restait Orion. Autant qu'il manquait.

La drogue était devenue monnaie courante pour Anissa. Elle avait abandonné toute notion de la sagesse, et se laissait aller à toutes les pourritures qui pourraient lui redonner le goût de vivre. Quitte à ne le posséder que cinq minutes, elle estimait que c'était mieux que rien. Vraiment ? Oui. Se perdre entre drogue et alcool, aussi paradoxal que cela paraisse, l'avait sauvée. Il lui avait permis de combler très légèrement l'énorme absence, non, le gouffre qu'il avait creusé en partant. Trop légèrement. Rien ne le remplaçait.


Ana-Lisa avait atteint ses seize ans. La drogue avait offert au sexe une légère place dans son quotidien. La plupart du temps inconsciente de ses actes, elle se laissait aller à des douceurs charnelles, parfaitement consciente qu'aucune ne valait la tendresse de Lou. Elle se contentait simplement de ce qu'elle pouvait trouver sous la main. Destan seul avait su l’apaiser plus que les autres. Un peu plus. Suffisamment plus pour qu'elle lui offre à plusieurs reprises une place au chaud dans son lit.

« Qu'à Lou de plus que moi ? Je t'offre un plaisir indescriptible. » lui avait-il glissé après l'amour, jouant avec ses cheveux, la fixant droit dans ses magnifiques yeux foncés.

« Peut-être, mais ce n'est pas toi que je veux, Destan. Tu n'es qu'un amusement. »

Son ton était froid, sec. Nulle trace d'une quelconque humanité sur son visage ni dans ses paroles, il semblait qu'elle se fichait de tout et de tout le monde. Les sentiments tels l'amour ou la joie lui étaient devenus étrangers, et une telle vie n'était pas une vie. Non. Elle devait faire un choix.


« Maman, je vais rejoindre Lou à Lewis. Je sais que tu tenteras de m'en empêcher, je sais que tu jugeras ça stupide, je sais que ça l'es. Mais je sais aussi que je ne peux pas vivre sans lui. Je te demande de ne pas tenter de m'en empêcher. »

« D'accord. » avait répondu sa mère.

« Mais ?! ... » la stupeur omni-présente chez Anissa, elle laissa la parole a sa mère qui la réclamait d'un doigt devant sa bouche.

« Malgré ce que tu sembles penser, je te connais ma chérie. Tu es ma fille, je sais ce que tu ressens, et je vois parfaitement bien que vivre sans Lou, pour toi, n'est pas vivre. Je l'assimile, et même si je ne comprends pas, je en t'enterais pas de t'en empêcher. J'espère juste que tu trouveras à Lewis ce que tu seras allée chercher. »

Malgré la tension dans sa voix qu'Anissa perçue comme de l'incertitude, elle savait que Lou ne l'avait pas oubliée. Elle le ressentait dans toutes les fibres de son corps, comme une absolue certitude. Oui, elle savait. C'est sans nul doute dans l'esprit qu'elle prépara ses valises, et, le lendemain, prenait l'avion. Plus question de drogue, plus non plus d'alcool, plus d'inhumanité. Elle redeviendrait elle. Simplement elle.